C'était son t-shirt ACDC complètement trempé, mes ongles rongés et surtout nos fous rires mouillés. L'époque de ses dreadlocks, et de mes enchaînement de couleurs. L'époque de notre long baiser goût grenadine.
En plein mois de mars, pendant les giboulées, on a flirté, sous les yeux des cieux nuageux.
Oui c'est ça. Romane c'était la meilleure amie de Sarah. Sarah et Romane, c'est un super nom de duo ça, non ? Le soir de mon anniversaire, on a bu, et pour la première fois, c'était autre chose que du Champomy.
Mais pour être sincère, je ne l'avais pas remarqué, avant qu'elle ne débarque un matin, avec les fameuses dreads. Dans ce foutu lycée, on devait être mille, si ce n'est plus. Et dans ce bain de personnes, je me noyais. Trop trop, il y avait trop.
Et puis l'ai vu, elle est arrivée. Pas comme une fée, pas en sautillant. Elle est arrivée simplement, modestement. Et crois moi, y a rien de plus beau que ça, la simplicité, la modestie.
Je l'ai regardé un peu trop longtemps pour un regard, et j'ai détourné les yeux, en souriant d'un sourire de deux mètres de long, en fronçant les sourcils. J'étais "cramée".
Le lendemain midi; au self, je l'ai encore vu, dans la queue. Elle a pris une de la purée et des petits pois. Trois jours après, elle était devant mon casier.
"Ah!" j'ai pensé fort, et je me suis approchée, je ne comptais pas lui adresser la parole, juste.. Juste. L'écouter, l'épier, l'observer, pendant que je sortais mes affaires. Juste.
« Léo!! » J'ai tourné mollement la tête, en faisant une grimace. « Oui ?
- Ça fait un bail! »
C'était Sarah. Elle a tendue la joue, et je l'ai embrassé.
Elle avait encore mis son parfum, la petite robe noire. J'ai brièvement répondu, et elle m'a présenté, à « [..] Romane ! »
J'ai froncé les sourcils, et j'ai dis un truc vraiment bête, parce que je l'étais : « Oh c'est drôle c'est pas un nom à dread ça! »
Et du tac au tac, « Par contre, Léonie c'est bien un nom à cheveux rose-princesse », elle a répondu.
J'ai souris. J'ai fermé mon casier, passé ma main dans mes cheveux rose chewing-gum, j'ai haussé mes épaules, et ai fais un grand geste des mains, pour lui faire comprendre avec ironie qu'elle avait le dernier mot. Mais elle, c'était pas vraiment son dernier mot.
Mardi 14 mars, j'ai couru.
Dans le couloir du troisième étage.
C'était pas une course banale, ou une course drôle.
C'était une énième course contre l'angoisse, contre le temps, une course qui disait « vais je arriver à temps ? avant de pleurer ? », je courrais. Je fonçais, la tête baissée pour qu'on ne voit pas mes larmes. Trop, trop, c'était trop. Encore ces rires en classe, cette lumière insistante, ces regards moqueurs, et puis d'un coup, en plein tp de physique, fatiguée, et lassée, j'ai fais tombé un flacon. Faut me comprendre, je dors mal tu sais, et tout ça m'épuise. Je supporte pas. J'ai une gueule qui dit « tu m'approches et j'te brise » mais c'est faux, c'est le monde qui me brise, c'est la terreur qui me fendille et m'accapare. Alors j'ai fais tombé ce foutu flacon, tout le monde s'est tu. Les regards se sont tournés vers moi. Tu connais toi, ça, les regards tournés vers toi, les rires, les « mdrr » tout bête et cassant, le prof qui soupire, la honte, le trouble, la peur: l'injustice? Le « pourquoi » déchirant qui sillonne inlassablement ta tête ?
Destination toilettes, il n'y avait plus que ça d'inscrit dans ma tête.
C'était pas la première fois, et quand t'es dedans, dans tes angoisses, t'as juste envie que ça s'arrête. Que tout s'arrête.
J'allais fermer le battant de la porte de mon toilette, quand une main à opposer une résistance.
Elle a poussé fort la porte, Romane est entrée et l'a fermé.
Je l'ai insulté mais aujourd'hui je ne sais pas comment la remercier.
« Ne me dis pas pourquoi tu es dans cet état, mais dis moi ce que tu ressens.
- Oh je suis grande, je sais me débrouiller! » j'avais l'esprit bagarreur mais je pleurais déjà.
Je pleurais et elle m'a pris dans ses bras.
C'est comme ça que ça a commencé. Elle n'a pas cherché plus loin, elle s'est assise en première, en silence.
Je l'ai imité, et puis elle m'a parlé.
Je sais plus du tout ce qu'elle disait. C'était trop dur de se concentrer.
