𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐗𝐈𝐈

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     Je sentais qu'Emilio, déjà surpris de me voir encore debout à cette heure tardive, se raidit un peu plus. Il savait que je n'étais pas dupe et que je ne croirais pas en un mensonge aussi gros. Quel était son but en me faisant croire que mon père serait capable d'une telle irresponsabilité envers sa fille ? Je faisais en sorte de rester impassible, de sorte que ça lui soit impossible de deviner si je le crois ou non.

"Tu sais Giuliana, tout homme un jour ou l'autre, prend le risque de faire une erreur qui peut lui être fatale."

     Où est-ce qu'il voulait en venir ? Qu'est-ce qu'il voulait me faire comprendre dans ces paroles ? Cela me fit froid dans le dos et je commençais à m'inquiéter pour mon père, sans trop savoir si j'avais de réelles raisons de l'être. Je ne savais pas quoi dire face à ces paroles plus que troublantes et maintenant, Emilio arborait un sourire plus que satisfait. Il se rendait maintenant compte qu'il avait réussi à me troubler. Alors qu'il retrouvait peu à peu son assurance, tandis que j'avais perdue celle qui m'était venue, il retirait sa veste et l'accrochait au porte-manteau comme s'il se trouvait dans sa propre demeure. Enfin, il se tournait de nouveau vers moi et voyant mon air interrogateur, il croisait les mains derrière son dos et son regard devint soudainement grave.

"Benedetto à des ennemis partout. Même là où il ne s'y attend pas."

     Ces dernières paroles me donnaient mal à la tête et j'avais l'impression d'être prise par un violent vertige. Malgré moi, je laissai tomber le chandelier à terre et fus obligée de prendre appui sur le mur à côté de moi pour ne pas tomber. Ce qu'Emilio avait voulu me faire comprendre, du moins, c'est ce que je pensais, c'était qu'on ne pouvait pas faire confiance à ses ennemis et encore moins à ses amis. Pourtant, je voulais croire que j'avais mal compris le fond de ses paroles. Peut-être qu'il voulait parler de quelqu'un proche de mon père au sein de son groupe mafieux. Cependant, je ne pouvais m'empêcher de croire que c'était de lui-même qu'il parlait. Autrement, pourquoi aurait-il laissé mon père vulnérable, dans un endroit où je ne pouvais me rendre pour aller le chercher ?

Voyant ma défaillance, Emilio appela une servante qui restait de garde la nuit, prête à intervenir au moindre problème. Il lui demanda de me conduire dans ma chambre et de veiller à ce que je me mette bien au lit. Le lendemain, j'espérais avoir oublié tout de ce qui avait été dit ce soir-là. Malheureusement, quand cela concernait la personne à qui vous tenez le plus au monde, il est parfois difficile de refouler de pareils souvenirs et de les oublier, de faire en sorte qu'ils ne refassent jamais surface.


     La nuit avait été très agitée. Je n'avais pas cessé de me retourner mille et une fois dans mon lit. Oreille attentive afin de capter le moindre bruit qui signifierait que mon père était rentré. Quand le jour commença à se lever, j'eus presque peur en me regardant dans le miroir. Mes yeux étaient gonflés, comme si je n'avais fait que pleurer toute la nuit, alors que j'avais été incapable de verser une seule larme. Et pourtant, de gros cernes été apparus sous mes yeux, témoignant de la nuit agitée, pleine de questionnement que je venais de passer –ou de subir-. En sortant de ma chambre, j'étais toujours attentive, espérant entendre la voix grave et portante de mon père.

Je descendis alors lentement jusqu'au salon, que je balayais du regard dès que j'en avais foulé le sol. Le gros fauteuil dans lequel il s'installait d'ordinaire était vide. Sa boite à cigare était toujours à la même place et il n'y avait pas de verre posé à côté. Je me décidai alors à passer dans la cuisine, je me rendis compte que je n'avais même pas pris la peine de me vêtir. Actuellement, ce n'était pas ce qui me préoccupait le plus. Et pourtant, dans la cuisine, il n'y avait que les employés qui s'activaient à leurs tâches. Certains posèrent leur regard étonné ou inquiet sur moi. Il était clair que j'avais l'air d'un spectre, que ma peau était d'une blancheur anormale, en plus de mes cernes sous les yeux. Alors que d'ordinaire, je prenais soin d'être belle, tenant à soigner mon apparence, ma tenue, ma coiffure, ce n'était pas le cas aujourd'hui. Mon esprit était bien trop tourmenté par le sort qui pouvait avoir frappé mon père au cours de la nuit.

Sous les regards des domestiques présents dans la cuisine, tous témoins, je me dirigeai vers le sous-sol. J'entendis l'un d'eux dire "Non mademoiselle !", je fis mine de ne pas entendre. J'avais besoin de voir un visage plus familier et qui me rassurait plus que tout ceux que j'avais jusqu'à présent connu. J'ignorais ce qu'ils pensaient tous et à vrai dire, je ne m'en préoccupais pas. J'avais seulement besoin d'une oreille attentive. Avec lenteur, je me rendis dans le sous-sol. Sous mon pyjama, dont le tissu n'était décidément pas très épais, le contraste entre la chaleur des pièces d'en haut et le sous-sol était flagrant. Je sentais ma peau se couvrir de frissons et il ne m'en fallu peu pour regretter de ne pas m'être habillé. Dans la cage, John ne pouvait rien faire d'autre que de rester assis, sur la paille, attendant ma visite, celle de mon père, Emilio ou même Federico avec qui je suis sûre, il aurait aimé régler ses comptes. En attendant du bruit, je le vis lever la tête et son visage semblait s'illuminer en me voyant apparaître dans son champ de vision. Comme s'il était rassuré de me voir toujours vivante. Et je ressentais la même chose. Federico n'avait vraisemblablement pas raconté ce qu'il s'était passé la veille et personne n'était descendu pour déplacer John ou pire l'exécuter. 

Je m'approchais des barreaux de la cage, tandis que de son côté, il était déjà debout. Je n'arrivais pas à comprendre cette façon qu'il avait de me regarder. Ses yeux ne s'attardèrent pas sur ma tenue, mais plutôt sur mon visage. Je devais vraiment faire peur et cela me donnait encore plus l'envie de rester cloîtrée dans ma chambre. Je n'attendis pas pour ouvrir la porte de la cage et y entrer. J'étais moins terrifiée à l'idée que John puisse me faire du mal, puisque je commençais peu à peu à lui accorder un peu de ma confiance.

"Il t'a fait du mal ? s'empressa-t-il de me demander."

     Je secouais la tête. Je souffrais uniquement de l'absence de mon père qui n'avait toujours pas donné de signe de vie. Mais à quoi bon lui faire part de mes inquiétudes ? Au fond de lui, il se réjouirait de la disparition de mon père.

"Non, il s'est contenté de me hurler dessus et de me faire peur en lançant un verre contre le mur. M-mon père n'est pas revenu hier soir, Emilio a dit qu'il avait des ennemis partout, tes frères les premiers mais j'ai l'impression que quelqu'un d'autre serait susceptible de s'en prendre à lui. Je suis tellement inquiète, suffoquai-je."

     Il m'était désormais impossible de retenir mes larmes. Depuis hier soir, je me forçais à les ravaler, essayant d'être forte, comme mon père l'aurait souhaité. Je m'en voulais de craquer de cette façon, de me mettre à nue devant ce criminel qui aurait tué mon père de ses propres mains pour se venger. Cependant, je me sentis propulser contre le torse de John. Je sentais ses bras qui se refermaient autour de moi. Bien qu'il fasse très froid dans ce sous-sol, John réussissait à m'offrir un peu de sa chaleur, ce qui calma un peu mes sanglots. Mes larmes continuaient de couler seules, sans que je puisse les contrôler. Puis, il glissa sa main sous mon menton et leva ma tête afin que nos regards puissent se croiser.

"Ton père reviendra. Ça me tue de dire une chose pareille, mais ça ne me plaît pas de te voir dans cet état. En ce qui concerne ton ami, j'en fais mon affaire, tu as ma parole. Maintenant, sèche tes larmes."

     À l'aide de ses pouces, il essuya délicatement mes joues, noyées par les larmes. Je ne savais pas quoi lui répondre ou si je devais le faire. Donc, je préférais ne rien dire et malgré le silence qui s'installait, je le trouvais plaisant. Tandis que je me permettais d'observer son visage plus en détail, John continuait d'effectuer ce mouvement délicat sur mes joues, ce qui me calmait définitivement. Au bout de quelques secondes, il cessa les mouvements de ses pouces. Nous restions pourtant immobiles, nous regardant yeux dans les yeux. Puis soudain, je le vis se rapprocher un peu plus de mon visage. Je fermais les yeux et sentis ses lèvres se poser sur mon front. À ce moment-là, quelque chose changea en moi.


Dans les yeux d'un Shelby || Tome I (en réécriture)Where stories live. Discover now