_ Allons y avant qu'elle ne décide de nous suivre.

Je me demandais si elle le pouvait vraiment. Elle était si lente... Mais ses gestes si mesurés lui conféraient quelque chose d'irréel. Je jetais un coup d'œil derrière moi et vis que les statues que nous avions dépassées avaient aussi commencé à bouger, nous observant sans relâche. Tant de regard vide ... C'était aussi merveilleux qu'inquiétant.

Eroth reprit son cheminement et je m'empressais de le suivre n'ayant pas envie de me retrouver seul avec les statues. Il se dirigea finalement vers une porte qu'il ouvrit d'un geste assuré, me faisant passer devant lui. J'entrais dans ce qui était une immense chambre au luxe exubérant. La pièce la plus monumentale de l'appartement était un lit colossal dont les montant soutenaient une voûte décorée de feuilles d'or. Trois cheminées imposantes avaient été judicieusement encastrées dans les murs, leur montant en marbre noir parcouru de dorures représentant des animaux sauvages en de subtils détails éclatants. Tous les âtres étaient allumés, ce qui expliquait la chaleur étouffante malgré la hauteur de plafond. Une table basse pouvant accueillir une dizaine de convives était insérée dans le sol et jonchée de nourriture encore fumante, tandis que tout autour de larges cousins étaient installés pour plus d'aisance. Je repérais également une table de jeu, une bibliothèque près de l'une des cheminées, un bureau discret et tout cela entouré de lourds rideaux qui malgré l'étendue de la pièce lui conférait une ambiance intime et secrète. Au fond de la pièce derrière un voile transparent qui ondulait sous les courants d'air, je devinais une autre salle, d'où un son irrégulier d'eau grouillante se faisait entendre ; sans doute une salle d'eau.

Eroth se dirigea vers la table basse, dépassant le lit, ce qui me rassura quelque peu. Je le suivis d'un pas tremblant, me demandant ce qu'il me réservait maintenant que nous étions seuls. Je restais attentif au moindre de ses mouvements et lorsqu'il s'installa à la table, m'indiquant de la contourner pour lui faire face, je me précipitais pour obéir, trop heureux de garder une distance raisonnable avec lui. Cela ne me sauverait pas mais j'avais juste besoin de savoir à quoi m'en tenir. Il s'étendit sur les cousins comme un roi des temps anciens, comme si tout ce qui l'entourait lui appartenait d'autorité. Je m'installais plus prudemment sur les coussins de soie, essayant de ne pas glisser sur le sol. J'arrivais à coincer mes pieds sous mes fesses, sans m'emmêler à ma cape et à trouver une position plus ou moins confortable. J'étais plus habitué à manger assis à une table ou debout accoudé à un comptoir de rue. Je ne comprenais pas comment on pouvait manger en étant affalé sur ce genre de monticule soyeux.

Lorsque je relevais les yeux, le démon me regardait en souriant, ses yeux si sévères brillant d'une lueur amusée.

_ Tu vas mourir de chaud si tu gardes ta cape.

Il n'avait pas tort, je commençais déjà à suer sous les couches de vêtements. Je me sentais tout de même mieux protégé en la gardant, ce qui ne m'empêcha pas d'obéir et de me délester de la lourde cape. Je la laissais cependant autour de moi, comme si sa présence pouvait m'apporter un quelconque réconfort. Le démon baissa les yeux sur mes épaules, détaillant le creux de peau nue entre le nouage des lacets sur mon torse. Il me présenta ensuite la multitude de plats d'un geste de la main.

_ Depuis combien de temps n'as-tu plus mangé correctement ?

Je posais les yeux sur la table, si pleine de mets incroyables, de la viande faisandée, des sauces à n'en plus finir, des dattes et autres fruits et de légumes cuisinés baignant dans des jus aux odeurs délicieuses. Tout cela faisait envie mais pas parce que j'avais faim.

_ Nous ne sommes pas pauvres, j'ai toujours mangé à ma faim.

Il sembla douté de ma parole pourtant c'était la vérité. Nos parents nous avaient laissé leur économie et la rente de mon aîné était assez importante pour nous offrir une subsistance honorable. La nourriture n'avait jamais manqué mais je supposais que ce n'était pas flagrant au premier coup d'œil.

VolontaireWhere stories live. Discover now