Un détail

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François est un ami depuis plusieurs années. Dans le même corps de métier que moi, nous avions fait connaissance via les réseaux sociaux, avec quelques autres amis, mais nous sommes restés plus proches que les autres. Nous nous sommes vus parfois, parfois souvent d'ailleurs. Et au gré de ses affectations professionnelles, j'étais de ses déménagements.

Fin octobre 2018, François déménage sur une assez longue distance. Nous sommes peu au déménagement, il a une partie de ses amis dans le sud, et ne multiplie pas les relations comme j'ai pu le faire depuis des années. Nous sommes 5 en tout. A l'arrivée, une jeune femme en talons, un homme fort sympathique et serviable bien que peu jouace. Et lui. Au premier regard, contre toute attente, pas d'autre réflexion en moi qu'un jugement lubrique sur son physique. Et une sympathie immédiate. Blagues, vidage de coffre, blagues, portage de frigo. Rires. Déjà ce qui allait rester ancré en moi, les rires. Ses rires. Pour faire la route, aspect technique oblige, j'ai une boule d'attelage, il a une remorque, je n'aime pas conduire avec une remorque, je n'ai pas envie d'être avec les autres, j'ai envie de fumer dans ma voiture, et il me semble fort sympathique, je fais en sorte d'être avec lui dans la voiture, et je lui laisse la clé.

« c'est peut être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup »

Ca veut dire beaucoup, parce que je lui laisse les rennes de mon carrosse, je deviens passive, et j'aime ça. Je savoure, sans séduction pourtant, sa façon de conduire. Je profite. J'aime et je pense que c'est ce qui commence à me faire vaciller. Et déjà, je l'aime. Oui. Je l'aime. Je ne sais pas ce que sera cet amour, ce lien, de l'amitié, de l'amour. Je ne sais pas mais je n'ai pas envie que la journée se termine, il l'a transformée en un moment éternel, ou plutôt un moment que je voudrais éternel. Je n'ai pas envie de le quitter, j'ai envie d'être à ses côtés.

Et il me fait rire. Dans cette vieille 307 SW que j'adore, je le vois, je l'écoute, je me sens bien, même sur le siège passager. De ces 2h30 de trajet à deux, j'ai la sensation de bien-être et de complémentarité. On discute, beaucoup. De nos situations, de nos vies. Et on rit. Encore et encore. Aujourd'hui, j'entends ses éclats de rire remonter dans mes souvenirs, en même temps que des remontées gastriques qui m'importunent.

Je n'ai pas souvenir d'un moment de silence, et quand bien même s'il avait eu lieu, il était juste empli de sérénité.

Je pense qu'il a vu que mise à part mon énergie, j'étais prévenante et bienveillante. Ces petites attentions faites tout au long du voyage, lui donner ma paire de lunettes de soleil, lui proposer une clope après lui avoir demandé si ça ne le dérangeait pas que je fume dans la voiture... Ces attentions qui font de moi quelqu'un d'aimable, une bonne maman en fait....

Il m'a expliqué sa situation. Sa copine de dix ans de moins que moi semblait ne plus le faire rêver, en plus de son côté grossièrement pragmatique, assurant qu'il « arriverait ce qui devait arriver ». J'avais endossé encore et encore le rôle de conseillère ès relations conjugales (avec une vie conjugale un tant soit peu foireuse), lui expliquant qu'à l'arrivée de la trentaine, c'est la fameuse croisée des chemins : ou on construit, ou on finit. Et qu'il allait être tenu de faire un choix, de prendre une décision. Je ne savais pas que quelques semaines plus tard, le mot de décision m'aurait fait aussi mal...

Pas d'arrières pensées pour moi pourtant, juste une stupéfaction d'entendre un bel homme si peu emballé par sa relation de couple, si peu enclin à se projeter, si peu motivé à construire. Et le sentiment qu'il n'y avait plus de sentiments entre lui et cette fille, que je ne pensais pas voir devenir ma rivale, ma rivale vainqueure...

Je lui ai dit la même chose avant-hier, lors de cette rupture. La croisée des chemins, l'absence de construction. J'ai certainement eu tort. Encore et encore.

Lors de ce déménagement, nous avons vidé les affaires, plus vifs que les 3 autres, nous étions efficaces et en action tout le long. Et je pense que lui a craqué lorsqu'il m'a vu porter le frigo. « Soulever le frigo » comme il a répété plusieurs fois : « une femme qui soulève un frigo comme tu l'as fait ne peut être qu'une femme énergique ». Tu penses bien coco ! Ces quelques marches d'escaliers l'ont choqué, et ont engendré mes instants de bonheur et de douleur associés.

J'aurais voulu décrire ces premiers instants, j'aurais voulu prendre mon temps à la Balzac, et expliquer ce qui a fait cet instant unique, ces instants uniques. Mais aucune description ne pourra égaler en moi le souvenir de ce rire. Je me souviens avoir eu honte de cette voiture, un peu vieillote comme je l'ai dit, et surtout avec un désordre innommable à l'intérieur. Il ne semble pas m'en avoir tenu rigueur. Les mouchoirs usagés par terre, le cendrier rempli, l'odeur immonde de cigarette froide, le film grossier de poussières déposées à l'intérieur de l'habitacle, sur le tableau de bord, les vides- poches tous pleins de déchets, chaussettes (oui oui), les bouteilles d'eau vides et pleines jonchant le sol. Tout ça aurait du le faire fuir. Tout ça m'a fait honte, mais étonnamment pas plus que si n'importe qui entrait dans cette voiture. J'étais moi, au milieu des papiers posés sur le siège passager.

Le soir, nous avons décidé de rester un peu, pour boire un verre et fumer un petit pétard « du soir », chez François, après une journée bien méritée et pour moi, réellement super cool ! Pas envie que ça se finisse, pas envie de partir, pas envie d'arrêter ce moment. Et là, c'était le repos des guerriers, enfin la possibilité de parler ensemble sans raison. Et nous l'avons fait.

Je suis partie à 22h, je serais bien restée la nuit entière, franchement, mais il partait donc j'ai fait « comme si »...

Le lendemain, j'ai envoyé un SMS pour dire qu'il avait su transformer cette journée de corvées en super journée. Et j'ai eu une réponse ! Voilà le début... Ce lendemain là, j'étais éprise, j'avais ce sentiment d'avoir rencontré ce quelqu'un, qui me correspondait, avec qui ça serait long et difficile de mettre en place quelque chose mais pour quoi je n'avais pas peur, puisque ça me semblait finalement assez logique...

Le deuxième jour.Where stories live. Discover now