Un voyage dans le temps

53 2 4
                                    

Nouvelle primée lors d'un concours

J'ouvris les yeux et ressentis un terrible mal de crâne. Tout m'apparaissait flou. Tout me perturbait. Je tentai de me redresser et cela me fit terriblement souffrir, comme si des milliers d'aiguilles attaquaient chaque parcelle de mon corps. Je décidai de rester allongé quelques minutes, profitant de la sensation des draps soyeux sous mes doigts, du lit confortable soutenant mon dos et de la douce brise qui me léchait affectueusement le visage. La fatigue reprit vite le dessus et je sombrai à nouveau dans les tourments de mes rêves, saccagés par le bruit frénétique des flots.

***

— Il se réveille !

Je ne reconnus pas cette voix chaleureuse qui semblait contente de me voir. Soudain, des réflexions étranges m'assaillirent. Qui étais-je ? Comment m'appelais-je ? Mes souvenirs, comme ma mémoire, avaient disparu, s'étaient fanés. Une peur glaçante me figea. Je fixai la jeune femme qui me tenait la main. Elle arborait un grand sourire sur les lèvres. Je lui rendis une expression gênée et retirai prestement mes doigts des siens. Je ne voulais ni la blesser ni lui donner de faux espoirs. Elle comprit tout de suite que quelque chose n'allait pas. Sa mine se décomposa.

— Il ne l'a pas reconnue, prononça une autre voix dans la pièce.

Un médecin, bras croisés, m'examina de haut. Je n'aimais pas sa façon de m'observer. Mon n'esprit n'avait apparemment pas perdu le sens du quotidien à l'hôpital ; je savais différencier les médecins des infirmiers, alors que cette jeune femme ne me disait absolument rien. Sa vie ne serait plus jamais la même. Une peine terrible m'accablait, je souffrais pour cette inconnue. Celle-ci n'abandonnait pas ; elle approcha son visage du mien, une lueur d'espoir au fond des prunelles. Tout s'embrouilla dans ma tête ; mes émotions s'emmêlaient et l'obscurité envahissait ma conscience.

— Chris, c'est moi, Laura. Tu sais qui je suis ?

Sa jolie voix tremblait, à l'image de son âme chamboulée et de mon être brisé. Je ressentais toutes ses attentes, ne pouvoir y répondre m'éreintait. Après plusieurs secondes d'hésitation et de torture intérieure, je lui adressai un non de la tête. Son monde sembla s'écrouler. Une larme coula depuis son œil droit. Elle se leva précipitamment pour se venger, à coups de poing et de cris, sur le médecin, aussi malheureux et impuissant que moi.

— Laura, calme-toi, je t'en supplie ! s'exclama-t-il.

Tant bien que mal, il essayait de faire face à l'explosion de rage de la jeune femme.

Ses hurlements sinistres, emplis de désespoir, ne finiraient pas de me hanter. Le médecin sortit de ma chambre et Laura le suivit, en pleurs. Le silence m'apaisa. Cela me laissa le temps d'investir les tréfonds de mon être. Ce qu'il en restait. Je ne me souvenais ni d'hier, ni de l'année dernière, ni d'aucun autre instant, excepté celui que je venais de vivre. Comment en étais-je arrivé là ? Malgré ces vides, mes connaissances ne ressemblaient pas à celles d'un nouveau-né. Mon bagage scientifique s'étendait bien au-delà de celui d'un simple novice. En fin de compte, je n'avais pas tout perdu. Le savoir serait ma force et il m'aiderait à me retrouver, à donner un sens à ma vie. Du moins, je l'espérais.

Je tentai de me redresser, mais l'effort m'assomma.

***

Je me réveillai en même temps que le soleil. Ma chambre, illuminée par des rayons flamboyants, brillait de mille feux. Ces éclats me firent mal aux yeux. Ébloui, je ne remarquai pas tout de suite le médecin rencontré la veille, qui m'observait depuis la porte.

— On a bien dormi ? me demanda-t-il.

Il tapotait de son stylo un calepin, sur lequel il devait prendre note du moindre de mes gestes.

J'acquiesçai, avare de paroles, et détournai le visage. Les rideaux me bouchaient la vue, m'empêchant d'admirer l'extérieur. Je grognai intérieurement. Poser mon regard sur de la nature éclatante m'aurait soulagé. Au lieu de cela, seule la mine hautaine du praticien restait visible.

— Si vous pouvez vous lever aujourd'hui, vous serez libre de quitter l'hôpital. Je dois d'abord vous faire une prise de sang à jeun et vérifier vos constantes. Êtes-vous prêt, Chris ? Euh... Puis-je vous appeler Chris ?

La question me laissa pantois. Je n'avais pas réfléchi à mon identité ou mon prénom. Laura m'avait appelé « Chris », alors, je serai Chris. Le médecin attendait ma réponse avec curiosité et son empathie, simulée ou véridique, me décrispa. Je le détestais un peu moins.

— Ch... Chris... Oui, ça ira... Je suis prêt, répondis-je maladroitement, la bouche pâteuse et sèche.

Il acquiesça, posa son carnet, enfila des gants et saisit une aiguille sur une commode à côté du lit. Il prit soin de la stériliser pendant que je me redressais. Des nausées m'assaillirent. Il remarqua mon malaise et m'aida à m'installer.

— Accomplissons cela hâtivement, que vous puissiez boire et déjeuner tranquillement.

Sa sollicitude m'étonna, je me laissai faire. La tâche fut réalisée sans tarder, je ne sentis rien. Mon sang rouge sombre avait rapidement rempli l'aiguille, ma tête me paraissait plus légère. Le médecin s'éloigna pour revenir avec un plateau bien garni. Il me souhaita un bon appétit et ferma la porte.

Je regardai le plateau-repas et examinai chaque parcelle de celui-ci. Le verre contenait un liquide bleu foncé pétillant dont la senteur fruitée titilla mes papilles. Je ne savais de quoi il était constitué et n'en reconnus pas l'odeur. Les trois assiettes à son côté m'attiraient du fait de toutes les couleurs qui en émanaient. Je crus discerner du poisson, malgré cette drôle de teinte, et des variétés de légumes dont l'aspect ne me parlait en rien. Je m'essayai d'abord à porter le verre à mes lèvres. Le goût appuyé me surprit, dans le bon sens du terme.

La boisson coulait facilement, moins compacte que je ne l'aurais imaginé, et sa texture délicieuse me rendait déjà des forces, sans que je comprenne comment. Ce que je pensais être du poisson en était bien, je l'avalai avec entrain. Les légumes se mariaient parfaitement avec ces mets exquis. Mon estomac fut vite rempli. J'avais oublié combien manger à sa faim appartenait à ces sensations de plénitude qui vous prenaient entièrement et vous procuraient un bonheur extraordinaire.

Soudain, un inconnu pénétra dans ma chambre.

— Alors ? s'exclama-t-il. On m'a dit que tu pouvais sortir aujourd'hui !

À suivre... 

Un voyage dans le temps (Nouvelle éditée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant