Chapitre III - Missions

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Nylsin était déjà plongée dans la rédaction de son compte-rendu – bien que « rédaction » soit un mot un peu fort pour une transcription sous forme de symboles énigmatique pour quiconque d'autre qu'elle – quand Kamil, Emmer et Narea firent enfin irruption dans ses appartements, lui faisant relever la tête.

Kamil était un jeune garçon de quinze ans, aux cheveux noirs, à la peau basanée, aux yeux noisette, généralement vêtu de larges tuniques et d'amples pantalons gris, un manteau ocre couvrant ses bras. Bien que manquant d'autorité, si on lui laissait des gens avec qui il s'entendait, il arrivait à faire des merveilles, puisque futé et scrupuleux.

Emmer était un grand gringalet constamment bougon, à la peau noire, aux yeux et aux cheveux à l'identique. Tempétueux, pas très discret, impulsif, il était néanmoins très autoritaire et la personne rêvée pour mettre le bazar, volontairement ou non, d'ailleurs. Il affectionnait les vêtements de couleurs vives, au grand désespoir des discrets de la bande.

Narea était une jeune femme de dix-huit ans, aux cheveux sombres, aux yeux verts et à la peau mate. Loyale jusqu'au bout des ongles, elle admirait passionnément Nylsin. Toujours habillée de noir, comme si elle portait un deuil, elle était discrète, l'esprit vif, quoiqu'un peu hésitante et manquant de confiance en elle.

Tous trois, patiemment, attendaient les ordres de leur dirigeante, qui les observait pensivement. La première chose qu'elle avait faite, en arrivant au poste de chef, avait été de dissiper le désordre laissé par la défaite de Noren lors de leur combat singulier, pour imposer une nouvelle autorité. Plus de gamins vendus. Plus de gamins torturés, privés de nourriture, d'eau, de chaleur. La pire des punitions encourue était l'exclusion, qui, malgré tout, voulait dire beaucoup.

Elle n'avait pas encore eu à sévir de cette façon. Néanmoins, elle en avait conscience, ils étaient en temps de paix. Ils volaient, mangeaient, essuyaient quelques affronts de la part des autres voleurs et des gardes. Rien de plus.

Lorsqu'elle se lancerait dans le jeu des Secteurs, tout changerait. Certains s'aviseraient soudain qu'elle dirigeait mal, et tenteraient de prendre sa place ; d'autres iraient se vendre à l'ennemi plus riche ; la Tour deviendrait le lieu de conflits internes, des vols à l'intérieur même de la bande seront recensés...

Retenant un soupir d'expectative – malgré tous les problèmes qui suivraient, elle n'avait qu'une hâte, c'était de faire tâter aux autres chefs de son habilité – elle se leva et fit face à ses trois jeunes gens, s'appuyant contre son bureau.

- Kamil, commença-t-elle. Tu n'oublieras pas de rester dans nos frontières. Je n'ai aucune envie d'aller titiller Ogana, elle n'attend que ça. Valen, quant à lui... Eh bien, j'attendrais d'en savoir plus sur sa petite personne avant d'aller lui casser les pieds. Des années qu'il tient les Quartiers riches, doit bien y avoir une raison à cela. En plus, Noren troquait avec lui. Qui sait ce qu'ils ont pu partager !

Se disant, ses poings se crispèrent, à la fois par instinct et par colère. Après sa cuisante défaite contre Nylsin, le jeune homme s'était enfui hors de son ancien territoire, il y avait de cela deux bonnes années. Depuis, nul ne l'avait vu, et certains le disaient morts. Cependant, sa successeuse n'y croyait pas : Noren n'était pas de ceux qui mouraient facilement.

Elle croyait dur comme fer à l'adage assénant que les pires survivent toujours.

Que n'aurait-elle donné pour pouvoir serrer la gorge blanche de son ennemi entre ses mains...

Sous les regards de ses voleurs, elle se reprit.

- Vise les maisons les moins bien gardées. Tu sais comment ça marche. Après notre coup d'aujourd'hui et no spertes, ils s'attendent sans doute à du répit. Faites attention, cependant. Nous ne pouvons nous permettre de perdre d'autres voleurs. Emmer...

Elle baissa les yeux sur ses notes, inscrivit d'autres symboles. Habitués à ce comportement, ses subalternes ne dirent rien.

- Inutile de mettre trop le bazar. J'ai reçu un rapport comme quoi certains de ses voleurs se promenaient trop près de nos frontières. Bien qu'il contrôle une bonne partie de notre Quartier, les habitants ne lui sont pas fidèles. Il faut commencer à prendre officiellement du terrain de ce côté avant qu'il ne prenne les devants. Partez en éclaireur, regardez comment ça se passe, à quel point c'est surveillé. Faites-moi un rapport. Si vous croisez des voleurs de Cal, ne cherchez pas l'affrontement.

Des hochements de tête de la part d'Emmer ponctuaient ses ordres. Il avait l'habitude qu'elle lui confie les missions d'espionnage et d'éclaireur.

- Par contre, s'il-te-plaît, opte pour une tenue sombre... Tu vas te faire repérer sinon.

Grimace, et le voleur tira distraitement sur le col de sa chemise jaune. Il adorait les couleurs, ce qui tapait sur les nerfs de sa cheffe adepte de discrétion.

- Vous pouvez sortir si vous n'avez pas de question, conclut-elle, gribouillant encore. Narea, reste.

Sans rien ajouter, Emmer et Kamil sortirent de la pièce, laissant retomber derrière eux le lourd rideau qui isolait la chambre de Nylsin. Cette dernière posa son crayon et leva les yeux sur la dernière restante.

- Nous allons du côté de la prison, n'est-ce pas ?

Un sourire étira les lèvres tordues de la voleuse rousse. Elle appréciait beaucoup Narea pour ses déductions et son intelligence, bien qu'elle n'osât ne les montrer que devant sa cheffe, intimidée par les autres.

- C'est ça. Faut qu'on récupère les deux autres. À deux, on devrait s'en tirer. Ensuite on les ramène, puis on va au marché noir.

- Vous savez où il est ?

Narea était bien la seule à la vouvoyer avec autant de respect, songea Nylsin. Elle avait du mal à comprendre pourquoi.

- J'avais chargé Liz de s'en informer. Ça n'a pas été trop compliqué.

Liz, souvent mise aux missions requérant de la discrétion et du doigté, était une gamine à la forte stature. Ayant des contacts parmi la plèbe fréquentant le marché noir, elle était de temps en temps au courant d'où il avait lieu. Le problème, au final, était d'y accéder et s'en sortir en vie.

- Qu'allons-nous y faire ?

La façon de parler de la jeune femme l'étonnait aussi. Plus posée, élégante et riche que la sienne, fille du Quartier de Suie. Elle ne s'y était jamais vraiment intéressée, mais se demandait parfois si Narea ne venait pas d'un Quartier un peu plus aisé. Le Doré, peut-être ? Elle chassa la question de son esprit.

- Y vendre la salamandre, premièrement. Essayer d'écouler un peu du butin, les trucs les plus encombrant ou difficile à refourguer. Puis faudrait qu'on fasse quelques achats, mais ça sera peut-être pour la prochaine fois, dépend de ce qu'on trouve.

En plus de bouger sans cesse d'emplacement, le marché noir ne présentait pas toujours les mêmes produits. Le trocs'y faisait beaucoup bien que l'argent soit parfois usité, et ce que l'on y trouvait changeait régulièrement, tout comme les figures des marchands, bien que certains, rares, étaient systématiquement présents.

Tristement célèbres, ces derniers étaient souvent affiliés aux Ombres, une bande étrange qui hantait les souterrains et les égouts ; on y trouvait de la traite d'enfants et de femmes, de la vente d'informations, de biens précieux, des services d'assassinats...

Ayant souvent des contacts haut placés, ces marchands ne risquaient rien et étaient des plus riches. Cela, plus ceux sollicitant leurs services, et les rats alléchés par quelque opportunité, l'endroit était un piège géant, mais incontournable pour les voleurs.

Plongée dans ses pensées, Nylsin ne prêta pas attention à l'acquiescement silencieux de la jeune voleuse. Chaque tour au marché noir comportait une surprise, parfois déplaisante, parfois à chérir.

Qu'allait-il s'y passer, cette fois ?

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⏰ Last updated: Dec 07, 2019 ⏰

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La Forteresse des ChimèresWhere stories live. Discover now