Le rituel des amants

Depuis le début
                                    

Malgré nos différences, nous avons su trouver en l'autre cette petite lueur d'excitation.

Après notre première nuit ensemble, ce qui devait rester un bon moment devint des rencontres plus occasionnelles... que l'un comme l'autre nous attendions et recherchions avec de plus en plus d'impatience. Nos nuits torrides n'ont pour autant jamais eu d'incidence sur nos échanges professionnels. Wei est devenu un de mes plus fidèles clients et je me réjouis d'avoir placé chez lui de merveilleuses pièces de collection, comme cette ravissante armoire laquée noire gravée et sculptée à la main, dont les reliefs patinés étaient couverts de feuilles d'or. Ce qui l'avait séduit était principalement tout le mécanisme des tiroirs qui, dans la bonne combinaison, ouvrait le fond du meuble. Rassurez-vous, je suis payé confortablement pour mon travail et je ne parle pas de ses charmes.

Cela va bientôt faire trois ans que nous entretenons cette « relation ». Nous ne parlons ni du futur, ni du passé et ça ne nous semble pas nécessaire devant tant d'évidence. Étranges, nous le sommes. Amoureux ? Allez savoir...

Le carillon de la boutique retentit et je viens à sa rencontre, esquissant un sourire. Je suis habillé avec un élégant costume prada noir présentant une veste col mao, une chemise bordeaux et un pantalon chino, agrémenté de bottines en cuir vernis de la marque Pete Sorensen. Je n'ai pas sorti le grand jeu, pas encore. Il est peu commun pour moi de dire que je suis heureux, mais j'apprécie passer de bons moments, et voir Wei c'est de délicieux moments.

Il traverse la boutique pour venir me faire face et comme à son habitude il me toise de son mètre quatre-vingt-neuf. Il ne faut pas faire le premier pas, il ne le fait jamais et moi non plus, mais c'est plus pour l'embêter. J'arrange son col.

« Tu as t-t traversé P-Paris bien mal arrangé. »

Il vient prendre mes mains entre les siennes, les serrant doucement avant de me saluer de sa voix rauque et de son timbre vibrant. Je ne peux pas le regarder, pas tout de suite, alors je garde les yeux rivés sur nos mains encore quelques instants, inspirant, avant de plonger mon regard dans le sien et de lui répondre à mon tour.

Avec le temps, son front s'est marqué de la ride du lion et je m'en moque souvent ouvertement, mais le voir détendre ses traits sans protester à ma remarque le rend vraiment attendrissant.

Nous échangeons régulièrement par mail, il n'y a que nos emplois du temps lorsque ces derniers sont programmables, nos déplacement et nos longues affaires. Lorsqu'on se parle, je peux aisément dire qu'il ne me cache rien et je pense faire de même.

Quant il est de passage à Paris il vient toujours me voir, me prévenant même à la dernière minute et ça n'a pas d'importance, car je serais là au fond de ma boutique à attendre le bruit du carillon. Étranges, nous le sommes. Amoureux ? Ne soyez pas trop naïfs...

Un jour, j'ai offert à Wei une dague sacrificielle comme cadeau. Un magnifique présent à mes yeux, en très bon état et aiguisé par mes soins. Lorsque je l'ai récupéré, beaucoup d'experts disaient de cette lame courbe et serpentine que son utilisation principale était d'être l'athamé de certains rituels chamaniques et wiccan en général. J'en possède une similaire, son manche est fait en cheveux et de peau tannée, celui de Wei est en os. Je ne m'intéresse que peu aux objets chamaniques, je pense que leur rôle n'est pas toujours bien défini et fini sur Terre. Laissons la plupart d'entre eux où ils sont...

Entre des mains mal intentionnées, cela pourrait faire d'horribles ravages.

Après notre dîner en villes nous sommes revenus à la boutique. Mon duplex se trouve à l'étage et son entrée est dans l'arrière-cour intérieure, à l'abri des regards. Sans un mot il me suit de près, comme à chaque fois je sens son souffle non loin de ma nuque dégagée, où il aperçoit la naissance de mon tatouage. Nous montons les escaliers et pénétrons chez moi.

L'Antre du Lapereau | OriginalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant