Chapitre 1 : Le domaine et Félix

44 3 19
                                    

Il était là, juste devant lui, trônant fièrement parmi les autres tableaux sur ce mur simple. Son style tranchait totalement avec tous les autres, peut être était-ce pour cela qu'une forme d'attirance s'en dégageait, mais sa singularité était indéniable, apaisante. Une douce sensation s'en dégageait, mais lui, il n'arrivait pas à le décrire autrement que par des critères techniques, les mots lui manquaient encore, comme si l'idée ne voulait pas être saisie.

Le tableau était essentiellement composé de couleurs claires, de blancs, de gris et de bleus pastel, pourtant loin d'être criardes. On pouvait aisément le diviser en deux parts selon des critères basiques. D'abord la montagne, puis le rebord de la fenêtre. Une chaîne de montagne siégeait au centre et à côté les crêtes aiguisées, presque en dent de requin, fendaient le ciel si calme. Aucun nuage n'apparaissait, mais un léger voile blanc surplombait les monts. C'était un pâle soleil du matin, il était peut-être neuf ou dix heures. Les roches étaient partiellement recouvertes de neige, formant crevasses et langues, érodant violemment ces sommets depuis déjà un certain temps et indiquant un milieu inhospitalier, inhabitable. Pourtant tout au centre des crêtes une tête d'aigle s'élevait, accompagnée de ses deux ailes, semblant vouloir s'élever. Quelques plumes apparaissaient en tâches blanches, mais c'était avant tout l'allure figée du rapace qui ressortait. Cette montagne volante arrêtée par ce temps serein semblait perturbée par un élément, comme si son immobilisme cachait une véritable tempête intérieure, un pur mouvement.

Le regard de cette tête et la forme de son bec épousaient une courbe si explicite que l'aigle n'avait aucun besoin de s'approcher de la forme désirée pour nous faire savoir son envie. Son lien avec les deux gentils œufs posés simplement sur le muret de pierre strié de cinq rainures était indéniable. Cette grande ouverture semblait appartenir à un donjon solide et indifférent à tout climat, aussi rude qu'il puisse être. Ce muret était là et ne pouvait être nulle part ailleurs, encadrant ces montagnes discrètement mais d'une poigne assurée.

Les deux œufs sans protection aucune demeuraient fermes. L'un à côté de l'autre, si proche du précipice mais surveillés de près par l'œil perçant de la montagne, si bien que cette présence en devenait aveuglante. Le reflet de la neige sur les coquilles étayait leur aspect lisse et le blanc immaculé de leur jeune âge. Les sages œufs formaient alors une ombre, infantile sur la moitié de leurs faces cachées pour cet œil omniscient mais révélée au spectateur, s'étendant depuis le muret. 

L'aigle voulait couver ces œufs, mais une question lui vint alors à l'esprit : les remous qui secouent cette montagne ne sont-ils là que l'œuvre d'un instinct maternel ? Il voulait en effet y voir autre chose.

Le contraste entre ces murs si doux et ces œufs si glabres, soyeux ou polis, face à ces aiguilles rêches, ces pics aiguisés par le temps, ces creux exigus et ces vallées tortueuses, décelait en effet d'autres secrets. Le tumulte d'un tourbillon de sentiments vengeurs à l'encontre des rejetons d'un autre était une idée qui lui plaisait bien, une hypothèse que son interprétation trouvait ironiquement drôle. En ce cas, le vide n'était plus le seul ennemi pour ces charmants petits œufs, il devenait presque une échappatoire cruelle à la souffrance, une mort rapide et assurée. Pourtant, personne n'aurait voulu se poser au fond du talweg, se pencher dans ce précipice, si ce n'est pour jauger calmement du haut d'un promontoire serein et froid, le grotesque de la situation. Et si cette montagne n'était en fait que l'esprit de ces petits œufs ? Des âmes farouches pressées de sortir du confort de leur coquille, de leur prison fabriquée par un autre de leur congénère auquel ils ne peuvent se soustraire que par la force de la chair, des jeunes muscles sauvages, des plumes encore humides, prêtes à se lancer dans le froid pour se porter, intrépides, jusqu'à un nid effervescent loin de... ! Peuh ! Il n'avait pas vu le vent, comment avait-il pu ? Toujours là, une brouillasse s'épaississait. Les rafales fulminent et chantonnent, s'épaississent et grossissent. Il n'est pas vraiment là, mais après tout il n'y voit bien que ce qu'il veut, depuis le début. Un flux souple et simple.

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Oct 22, 2019 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Le domaine d'ArnheimWhere stories live. Discover now