Laissez-nous vivre

Prologue

Le paquet de linge blanc arriva au milieu de la nuit. L'orage menaçait au-dehors mais la lourdeur de l'air ne voulait pas encore retomber et oppressait tous les habitants du château. Par la fenêtre de sa chambre, Théodran regardait le ciel noir qui s'étendait jusqu'à l'horizon de la forêt. Il pensait. Il pensait à elle. La mélodie du pendentif au creux de sa main vibrait dans tout son être. Il y jeta un rapide coup d'œil : le cœur se cachait dans les hautes herbes ciselées dans l'argent. On frappa faiblement à la porte mais Théodran n'eut pas le temps de répondre, elle s'ouvrit immédiatement et un petit garçon qui paraissait 10 ans passa sa tête encadrée de boucles blondes par l'embrasure.

"Entre Loras."

Le garçonnet s'avança courageusement vers son seigneur, serrant le paquet de linge contre son petit torse. C'était la mission qui lui avait été confiée, il était fier de sa réussite.

"Tu as très bien œuvré jeune homme."

Le garçon se redressa fièrement à cette appellation.

"Donne-moi l'enfant maintenant."

Le petit hésita un instant, jetant un coup d'œil au visage dissimulé dans les couvertures blanches.

"Donne je te dis.

-Elle a dit que... Que vous deviez être bon avec elle.

-Oui je serai... Attends !, s'interrompit le seigneur en s'avançant d'un pas, le regard transformé, Tu as dit "elle" ?

-Elle a dit elle.," corrigea l'enfant.

Théodran lui saisit le poupon des bras et l'extirpa de ses linges avant de le soulever par les aisselles.

"Elle..., grommela-t-il. Comment elle ?! On m'avait dit un garçon !!

-Ils ont dû se tromper m'sieur., défendit le blondinet, Vous savez les rumeurs on sait jamais le vrai du faux.

-Tais-toi !"

Le petit se raidit mais ne perdit pas sa contenance face à l'éminence grise qui ne lâchait pas le bébé des yeux.

"Elle...

-C'est pas si grave m'sieur., osa courageusement le petit.

-Je ne sais même pas comment l'appeler. J'avais prévu pour un garçon je..."

Il s'assit sur un fauteuil, l'enfant dans ses bras, il parut soudain abattu au petit Loras, si seul, si désemparé devant ce poupon.

"A mon avis m'sieur, elle a déjà un nom à son âge.

-Il faut lui en trouver un autre. Elle est trop jeune pour s'en souvenir de toute façon.

-Faut jamais sous-estimer les bébés !"

Devant le regard interrogateur de Théodran il ajouta d'un ton penaud:

"C'est ma mère qui dit ça..."

Théodran retomba dans sa réflexion sans parvenir à réfléchir le moins du monde. Soudain l'enfant lâcha :

"J'ai trouvé ! Vous savez pas vous l'avez pas encore entendu rire mais moi je sais, quand elle rit on dirait... Le chant d'une alouette ! On pourrait l'appeler Alouette non ?

-Ne dis pas de sottises, rétorqua Théodran, il lui faut un nom de princesse.

-Et quoi ? Ça va pas Alouette ?

-Non ! Oh et puis va-t-en ce ne sont pas tes histoires !!"

Le gamin fila à toute vitesse mais, avant de franchir la porte, il eut un dernier regard tendre pour le petit paquet de linge qu'il avait escorté de son village natal jusqu'au château.

Une fois seul Théodran regarda à nouveau le visage pâle du bébé entre ses bras. elle avait les yeux fermés, avaient-ils la couleur de ceux de son Amazone ? En tout cas il vit, dans la forme de son menton, dans l'inclination de ses yeux, tous les détails de son visage à elle. Ce visage qu'il avait tant aimé. Ce visage qu'il haïssait tant. Dans un rugissement de colère il plaqua la petite fille dans son berceau. Elle se mit à pleurer face à la violence du réveil. Il s'éloigna vers la fenêtre pour ne plus l'entendre aussi fort. Mais le gamin avait raison, dans ses pleurs on entendait bien le timbre de sa voix, celui d'une alouette.

"Une alouette tombée du nid." murmura Théodran juste avant que le premier éclair ne s'abatte sur l'horizon.