Chapitre 14 : Grand Départ (2/3)

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D'abord à la barre, Dents-Longues s'était ensuite posté sur la vigie de poupe, à côté des cages des poules de Wardin, qui dormaient profondément. Il porta son violon à l'épaule, et commença à jouer un adagio lancinant en scrutant l'horizon. Cet air semblait porté par les vents, soufflant dans les voiles à la limite de faseyer du Renard. Singh, à la barre, se laissa traverser par l'émotion, tandis que les mèches libres de ses cheveux ondulaient dans l'air tiède du soir. Lorsque la fin de son quart fut venue, le pirate n'alla pas se coucher comme ses compagnons et resta à sa place, sur le gaillard d'arrière.

— Qu'est-ce que tu fais ? lui demanda Xao.

— Rien, répondit Dents-Longues. Je n'arrive pas à trouver le sommeil.

Il resta ainsi debout pendant des heures. Qu'est-ce qu'ils fabriquent ? se demanda-il. Ils devraient déjà nous avoir rattrapés, avec toutes les manœuvres que nous avons faites dans la journée, et la lenteur de ce navire. Je me demande bien ce qu'ils attendent. Ce ne furent que les premières lueurs du jour qui apportèrent les réponses à ses questions. Derrière eux, à peine moins d'un mille, le Sloop qu'avait attendu Dents-Longues toute la nuit les prenait en chasse. Afin d'éviter l'attention sur lui, le pirate quitta le gaillard d'arrière, feignant de n'avoir pas vu le navire léger qui les suivait, et se rendit dans la cale. Malheureusement pour lui, le navire n'échappa pas à l'œil de lynx de Nid-de-Pie, qui sonna l'alerte.

— Tout le monde sur le pont, hurla Zélia en actionnant la cloche, Branle-bas de combat !

Les pirates ensommeillés sortirent en toute hâte du faux-pont où ils dormaient, leurs sabres et leurs haches entre les dents, reboutonnant maladroitement leurs pantalons à pont et ajustant leurs vareuses sur leurs épaules.

— Tout le monde à son poste, hurla Surcouf, prenant la main sur son second. Armez les canons tribords, parés à virer.

Faute de temps, il n'avait pas encore affecté ses hommes aux différents canons, et l'équipage n'avait pas eu le loisir de s'entraîner à cette tâche difficile, qui demandait organisation, rigueur et précision, autant de qualités qui manquaient au jeune équipage du Renard. Les pirates se dirigèrent en désordre sur les diverses pièces d'artillerie, tentant tant bien que mal de les armer. Alizée grimpa dans les haubans rejoindre Nid-de-Pie, suivie par Singh et les deux gabiers de l'Hermione.

— Il nous faut prendre des ris, leur ordonna-elle. Sinon, nous n'arriverons jamais à virer. Et il nous faut plus de monde, là-haut, aboya-elle à l'adresse de Surcouf.

— Monte, dit le corsaire à Mircea, va les aider.

Le jeune homme grimpa, assurant ses pieds dans les enfléchures, pour rejoindre les autres en bout de vergue. Ils rabantèrent complètement le perroquet et prirent deux ris dans la hune pour réduire la voilure.

— Paré, annonça Alizée, du haut du mât.

— Paré, répétèrent en écho Mériadec et Hyppolyte, redescendus s'occuper des écoutes des focs.

— Paré, dit alors Victarion, en charge de l'écoute de grand-voile.

— Paré, repris finalement Azimut, à la barre.

— Virez de bord, on lof doucement, doucement, commença Surcouf, attendant que le Sloop soit suffisamment près pour être à portée des canons du Renard. Et... virez lof pour lof.

Le cotre tourna alors sur tribord, exposant son flanc au Sloop pirate qui commençait lui aussi à virer, à moins d'une encablure.

— Paré à tirer ! Ordonna Xao. Feu !

La bordée tirée par le navire corsaire fut un échec total. Des cinq canons de la bordée tribord, sans compter le pierrier de poupe, seuls deux firent feu, le premier boulet n'étant projeté que de quelques pieds avant de sombrer dans la mer, le second fuyant le bastingage de leur assaillant, et ne parvenant qu'à faire un trou dans le grand foc du Sloop. A son bord, aucun canon, pas même un pierrier, juste une dizaine de pirates, le couteau entre les dents, les attendaient, perchés dans les haubans ou amassés sur le pont, prêts à en découdre et à sauter à l'abordage. Le combat était devenu inévitable.

— Préparez-vous à les recevoir, prévint Surcouf. Ils vont nous attaquer.

Le choc fut violent entre les deux navires, et les coques craquèrent sous l'impact. Les assaillants sautèrent en hurlant sur le Renard, et engagèrent le combat avec son équipage. Même s'ils étaient à deux contre un, les agresseurs étaient habiles au maniement de l'épée, et vendaient chèrement leur peau. Au début, Surcouf sembla même croire que ses hommes étaient débordés, mais Törmund descella le lourd pierrier de son socle sur le gaillard d'arrière, et, s'en servant comme d'un fusil, envoya dans l'au-delà deux pirates d'une seule salve meurtrière. Amund, enragé comme un diable, tournoyait au centre du pont, balançant ses haches de droite et de gauche, et acheva lui aussi deux des assaillants, portant leur nombre à six, soit un contre quatre.

Perdu à l'avant du Renard, hébété, comme sonné par le vacarme environnant, où les cris de ses hommes agonisant se mêlait à l'odeur de poudre et de sang, Dents-Longues ne pouvait s'empêcher de penser Quelle bande d'incapables ! Ils étaient censés aborder à la faveur de la nuit. Comment espéraient-ils prendre ce navire, deux fois plus grand et composé de pirates aguerris pour la plupart, rompus au combat singulier, sans bénéficier de l'effet de surprise. Il me faut trouver une porte de sortie, car lorsqu'ils verront que leurs assaillants sont des Longs-Couteaux, ils me suspecteront aussitôt, et c'en sera fini de moi ? Que faire ? fuir ? Le pirate jeta un œil vers l'emplacement de l'Argonaute. Ses compagnons n'étaient plus que cinq, désormais. Il n'aurait pas le temps de larguer les saisines sans que quelqu'un se rende compte de sa tentative de fuite. Pareil, le sloop était bien trop visible pour tenter de s'en emparer et se mettre hors de portée des canons du cotre à temps. Tournant sur lui-même à la recherche d'une issue, il aperçut alors l'objet de son salut. Acculé au bout du mât de beaupré, Oscar se débattait vaillamment contre l'un des Longs-Couteaux, parant ses attaques de justesse, s'équilibrant en prenant appui sur l'étai du petit foc. 

Un été en mer de Jade, Partie 1: Mission RoyaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant