La traversée de l'âme

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Nous marchons, sans savoir où nous allons. On se dit que la seule chose à faire est d'emprunter le chemin de notre destinée, son existence nous motivant toujours à avancer.

Cette chaîne invisible, semblant infrangible, m'entraine aux côtés d'un garçon qui me semble tout à fait inconnu. Cependant, je crois que si je suis encore en vie à ce moment précis, c'est bien grâce à lui.

Nous sommes assis, entourés d'arbres massivement feuillus, sur un tronc rempli de mousses, posé pour nous comme un banc en pleine forêt. Je ne dis rien et le regarde en plongeant mon regard dans ses yeux d'émeraude, brillants comme mille étoiles dans le ciel d'une nuit d'été. J'y vois, comme mon image, se refléter.

- Qu'il y a-t-il ?

- Nous sommes perdus dans les bois, alors je...

- Non, nous ne sommes pas perdus.

Saule sourit, d'un air si pur et innocent, qu'il me paraît inconcevable de ne pas boire ses paroles, tel un assoiffé se voyant offrir un bon verre d'eau qu'il ne pourrait nullement refuser. Je me lève alors, tentant de scruter les alentours, et essaye de plonger mon esprit dans mes souvenirs flous et inexistants. Je ne me rappelle même plus de mon nom, et je ne sais pas ce que je fais ici. Mes souvenirs ne reprennent qu'à partir du moment où Saule m'a trouvée allongée, là, sur un tas de feuilles d'arbres qui enveloppaient presque tout mon corps. Il n'a pas l'air déstabilisé par la situation, au point où je me demande s'il n'est réellement au courant de rien.

Je ne me rappelle pas de mon existence, mais je suis certaine qu'il est une habitude pour moi d'être peureuse et angoissée, puisque je sens quelques gouttes de sueur froide me chatouiller suavement le corps jusqu'à m'en donner quelques frissons.

Je vois Saule arriver vers moi, et me prendre la main, que je décide de serrer fort pour combattre mon effroi. Je commence à marcher, suivie par le pas léger de mon compagnon de route. Au bout de quelques minutes de marche, je me décide enfin à ouvrir la bouche.

- Saule, est-ce que tu sais où nous sommes ?

- Oui je le sais.

Je m'arrête brusquement, le visage en décomposition. Il me regarde d'un air interrogateur, comme si sa réponse avait été évidente pour nous deux.

- Tu es sérieux ? Saule, pourquoi tu l'as pas dit plus tôt ? On est où ?

- Je ne peux pas te le dire.

Je lui lance un regard noir et lui serre la main si fortement que j'en espère lui broyer les phalanges. Comment pouvait-il nous laisser marcher ainsi alors qu'il savait pertinemment où nous étions ? L'expression de son visage reste inchangée, comme s'il ne ressentait pas la douleur.

- Mais Saule, qui es-tu ? Et... Qui suis-je ?

Il ne répond pas et s'approche de moi, frottant délicatement son front au mien, les yeux fermés. Il commence à me serrer dans ses bras, et je ressens une aura prenant possession de moi, me faisant fermer les yeux à mon tour et ressentir un calme, une douceur indescriptible, que je n'avais auparavant jamais connue. J'entends alors, comme une mélodie, une berceuse, une douce chanson venant caresser mes tympans.

Souviens-toi, ma chérie, des moments de joie. Souviens-toi, de ta vie, de tous tes émois. Je t'en prie, reviens-nous, ne nous abandonne pas. Ma chérie, ma puce, ma fille à moi.

- Saule, qu'est-ce que c'était ?

- Un message.

- Comment ça un message ?

- Je ne peux rien te dire, pas pour le moment.

Il s'écarte de moi, et pose ses mains sur chacune de mes épaules. Son visage laisse transparaître sa volonté et sa gentillesse. Il me sourit et me chuchote à l'oreille.

- Ferme les yeux et concentre-toi.

J'exécute sa demande sans poser de question, comme si, naturellement, j'avais une totale confiance en lui. C'est alors que je commence à entendre quelque chose, un bruit redondant, qui retentit dans ma tête, comme une sonnerie.

- Bip, bip, bip...

- Saule, qu'est-ce que ça veut dire...

Les battements de mon cœur commencent dangereusement à s'accélérer, leur mélodie passant de lento à presto. Je commence à m'emporter et à élever la voix.

- Saule, dis moi ce qu'il se passe ! Tout de suite !

Je sens ses mains quitter mes épaules. J'ouvre immédiatement les yeux, et je me retrouve seule, plantée ici. Seulement, Saule n'est pas le seul à avoir disparu, car la route qui se trouvait derrière nous, a complètement laissé place à un vide, un sombre néant. Je n'entends plus rien à part cette sonnerie, qui est en train de me ronger l'audition. Je tente tant bien que mal de me boucher les oreilles à l'aide de mes mains, seulement c'est comme si ce bruit provenait du plus profond de mon âme. Je regarde ce vide se rapprocher peu à peu de moi, comme si j'étais sa proie, et que mon heure allait bientôt venir.

Je n'ai quasiment pas le choix. Je dois fuir, ou bien rester ici et me faire emporter par ce trou noir dévorant tout sur son passage. J'ai envie de tomber à genoux et de me laisser engloutir. Cependant, l'envie qui m'est la plus irrésistible est de savoir à qui appartient cette voix si douce et rassurante que j'ai entendue. Et Saule qui n'est plus là... Pourtant... Je ne dois pas abandonner. Je ne sais pas qui je suis, mais je sais que je ne suis pas une lâche. Alors, je commence à emprunter le chemin étroit de la forêt devenue sombre et lugubre devant moi.

Je dois retrouver mon identité et cette personne à la voix d'or. Je dois retrouver Saule... Saule... D'un seul coup, je me rends compte que jamais il ne m'avait dit quel était son nom, comme s'il avait été évident pour moi de le savoir. J'avais l'impression de le connaître mieux que n'importe qui, sans réellement savoir quoi que ce soit à propos de lui. Je crois bien, simplement, sentir une chaîne dorée nous relier lui et moi, et ce n'est pas une forêt, aussi sombre soit-elle, qui m'empêcherait de percevoir la lumière de ce lien, qui m'entraîne jusqu'à lui.

Je commence alors à marcher d'un pas sûr et déterminé. Le paysage qui m'entoure s'éclaircit, m'indiquant avoir trouvé la bonne voie. Je sors enfin de cette forêt. Il y a devant, une porte, et à ses côtés se trouve Saule, mon ange gardien, grâce à qui j'ai pu arriver jusqu'ici.

- Tu as compris ?

- Oui...

- Il te reste maintenant une dernière chose à savoir, avant de partir...

Je ne le laisse pas terminer, et je me jette d'un reflexe machinal dans ses bras. C'est comme si lui et moi ne faisions qu'un. Il sourit et me caresse les cheveux d'un geste délicat et rassurant.

Tout se passe très vite. J'accepte cette destinée, et je suis prête à passer cette porte, me permettant de continuer ma vie, ainsi que tout ce qu'il me reste à accomplir.

Tu vas oublier ce qu'il vient de se passer, oublier mon nom et qui je suis. Tu vas retrouver la mémoire, retrouver ces personnes qui tiennent à toi, qui t'aiment plus que n'importe qui. Tu vas continuer ta vie, comme si de rien n'était. Mais sache, que je serai toujours là pour veiller sur toi. Je serai toujours présent pour t'aider à prendre les bonnes décisions, et, lorsque que tu seras au bord du gouffre, sache que cette chaîne qui nous relie, toi et moi, t'éclairera, et t'évitera de tomber, t'aidera à te relever, pour que chaque jour, tu continues à avancer.

Je traverse cette barrière de l'oublie. Tout redevient flou, noir, puis coloré. Je sens monter en mon esprit un arc-en-ciel de souvenirs. Où suis-je ? Que s'est-il passé ? J'ouvre les yeux, allongée dans ce lit d'hôpital, ces personnes à mes côtés, ma famille, ma mère adorée. Je ressens cette aura de joie et de réconfort qui m'entoure, ainsi qu'un regard apaisant se poser sur moi, et qui me fait sourire, sans que je ne sache pourquoi.

- Iris...

- Maman, j'ai entendu ta chanson.

La traversée de l'âmeWhere stories live. Discover now