10 ♦ Le début d'un long périple

Depuis le début
                                    

Élya se réveilla à mi-chemin et observa, silencieuse, le paysage. Sortis des bois, nous avancions sur un sentier arborer de multiples fleurs, lesquels étaient butinées par des abeilles. Leurs bourdonnements étaient un plaisir pour les oreilles. Toute cette belle nature ne méritait pas de virus ou de sombre magie, au contraire, elle méritait la prospérité et l'amour. 

J'aimais être un Gardien pour ces principes : préserver notre environnement. Le Nécromancien était le principal ennemi de notre Royaume mais tous les autres criminels et petits sorciers rebelles n'échappaient pas au tranchant de nos lames. Alors, malgré notre longue pause, nous travaillions certaines fois dans des villages et de grandes villes, pour faire régner la paix. Néanmoins, nous nous efforcions de ne jamais altérer le travail des forces de l'ordre. Si jugement il devait y avoir, alors nous ne tuions pas. 

— Ma sœur aurait adoré voir ce magnifique champ de fleurs butinées, commenta Élya.

— Tu pourras l'y emmenée, une fois tout cela derrière nous, répondis-je. 

Elle desserra ses bras et se redressa. Il faisait chaud, le soleil brûlait notre peau mais nous devions rejoindre le pied de la montagne. 

— Hm... j'espère rentrée. 

— Tu ne nous fais pas confiance, en déduisit Ezekiel. 

— Non, tu as raison, rétorqua-t-elle aussitôt. Je ne vous fais pas confiance. 

Elle avait raison. Notre dernière Guide était morte par notre faute. Car nous en avions fait le choix. C'était elle ou le Royaume. Nous avons été éduqué à sauver le Royaume au dépend de certaines vies. 

— Il le faudra, intervint Adélaïde. Nous devons nous entendre si nous voulons avancer tous les quatre ensembles. Les Gardiens sont entraînés à s'épauler dans les coups durs et à se faire confiance, à eux et à leur Guide. 

— Moi je n'ai suivi aucune formation, grommela Élya. 

— Tu es têtue et fermée à l'idée de te lier réellement à nous, pesta Ezekiel. Jamais nous ne trouverons les gemmes dans ces conditions. Tes visions resteront floues et pour nous aussi. 

— Il faudra que tu asses un effort, Élya, déclarai-je. 

Je l'entendis soupirer dans mon dos.

— Alors dites m'en plus ? Pourquoi tout le monde disait que j'étais trop vieille ? 

Je souris légèrement. Il n'était pas commun qu'un Guide soit adulte. 

— Les Guides sont généralement des enfants, âgés entre douze et quinze ans, exposa Adélaïde. Toi, tu sembles avoir la vingtaine.

— J'ai vingt et un an. Et vous alors ? 

Je pouffai de rire, Adélaïde se mordilla les lèvres pour ne pas rire. Et dire que nous étions terriblement vieux, bien plus que le roi ou que le père du roi... 

— Pourquoi vous rigolez ? s'étonna Élya. 

— Nous sommes vieux de plus de cent cinquante ans, ajouta Ezekiel. Alors te donner notre âge... 

Un court silence plana alors que nos chevaux passaient sous un pont de pierre, nous abritant pendant quelques minutes du soleil. 

— Wow... souffla Élya. 

— On est expérimentés, dans tous les domaines, m'amusai-je. 

— Alexius, soupira Adélaïde en réprimant un sourire. 

— Quoi ? N'est-ce pas la vérité ? 

— Je vois, rigola Élya. Mais... n'avez-vous pas envie de vieillir, de fonder une famille, de vivre dans votre maison ? Vous devez constamment déménager pour ne pas éveiller les soupçons... 

C'était là le triste sort des Gardiens. Vivre éternellement, ne jamais garder d'attaches et bouger sans arrêt et ce, jusqu'à notre mort. 

— Nous ne sommes pas conçus pour fonder une famille, grogna Ezekiel. 

— Vous restez humains, si je ne m'abuse. Alors vous devriez avoir le droit de choisir. 

— C'est bien plus compliqué que cela, soupira Adélaïde. 

— Et puis, fonder une famille oui, mais voir ses enfants et sa femme mourir avant soi... trop peu pour moi, soufflai-je. 

Je ne pouvais m'imaginer m'attacher à ce point et voir ma femme, mes enfants, tous vieillir alors que moi, je restais jeune et en forme. Pour moi, tout cela me semblait impossible, la douleur serait trop grande. 

Nous passâmes le reste de notre chemin à expliquer à Élya certains de nos voyages dans les montagnes. Les animaux qu'on pouvait y croiser, les températures parfois différentes selon l'altitude et les habitants, plus reculé des grosses villes, leur façon de vivre et très souvent, leur générosités envers les voyageurs. 

Nous lui avons également confié que très souvent, les gemmes sont gardées strictement et que pour les récupérer, certaines épreuves doivent être jouées pour prouver notre nature de Gardiens. Rien d'alarmant, jusqu'à présent, nous les avions toujours réalisées haut la main. 

Nous lui expliquâmes que les gemmes étaient si bien gardées pour une raison très simple : elles devaient être hors de la portée du Nécromancien ou tout autre sorcier à la recherche de plus de pouvoir. Les gemmes, en plus d'être puissantes, étaient dangereuses. Pour nous, Gardiens, les garder trop longtemps pouvaient nous torturer, nous faire perdre la tête ou pire, nous rendre aussi mauvais que la magie noire. C'est pourquoi, chaque fois qu'une mission comme celle de combattre un Nécromancien s'achevait, nous confions nos gemmes à l'Ordre qui se chargeait de les dissimuler à travers tout le Royaume. Le Messager finissait tristement son voyage en se donnant la mort, pour que jamais personne ne connaisse l'emplacement d'une telle source de pouvoir. 

Selon Élya, la méthode du suicide était barbare pour celui qui était désigné messager, mais certaines cultures ou croyances ne pouvaient être changées. Nous avions l'habitude de ces histoires, de cette façon de procéder. Je savais qu'Élya, tôt ou tard, s'y accommoderait. D'ailleurs, je n'avais aucun doute sur le fait qu'elle nous ferait confiance, il lui fallait seulement du temps pour digérer la séparation avec sa sœur et le nouveau Titre qu'on lui octroyait, sans même lui expliquer quoi que ce soit. 

Lorsque nous arrivâmes au pied de la montagne en fin de journée, cramés par le soleil, nous laissâmes nos chevaux se reposer et construisîmes un camp de fortune afin d'y passer la nuit. Pour l'instant, le feu pouvait être allumé, aucun ennemi à nos trousses, aucune suspicion de traque... nous pûmes en profiter, avec la nuit plus fraîche qui s'annonçait, plus au nord du Royaume. 

Je voyais bien comme Ezekiel regardait Élya, comme il s'efforçait de garder ses distances et de la déprécier. Il se refusait à s'attacher à elle, je ne doutais pas que sa beauté ne le rendait pas indifférent mais il était ainsi, il se refusait d'aimer, d'éprouver de l'amitié ou autre sentiment qui, selon lui, le rendraient faible. 

Pourtant, je savais qu'au fond, ce serait inévitable pour lui. Aude avait été sa faille mais sa plus grande force, même s'il préférait affirmer le contraire. 

Élya pouvait être une force, comme Leone auparavant, comme n'importe quel autre camarade que nous avions accueillis avec nous. Comme tous nos défunts Gardiens, pour qui nous continuions à nous battre. 

Moi, je ne me refusais jamais à ressentir ni vivre. J'appréciais Élya autant que j'eus apprécié Leone. J'espérais fortement qu'un autre sacrifice ne serait pas de mise, cette fois. Élya méritait de retrouver sa sœur. 

Les Derniers Gardiens - I La Confrérie du RubisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant