Le soleil et un ciel d'un bleu comme on en voit rarement, s'étaient installés sur le 93. Sa B.M.W. décapotée, Marco se pavanait depuis un moment, en roulant à faible allure autour des bâtiments. Mina, une fille enviée de tous les jeunes de la cité, était à ses côtés et le dealer jubilait, car sur les trottoirs ou sur les balcons, tous les regards étaient braqués sur eux.
Assis depuis un moment sous l'abribus, pour la seconde fois , je voyais le couple passer devant moi. À quelques mètres, Marco s'arrêta et fit marche arrière.
─ Salut Serge ! Ta nana t'a laissé tomber, on m'a dit... Si tu veux, je te prête Mina, elle ne serait pas contre je pense ! Hein ma belle ? Seulement, Mina aime les belles voitures... Les mobs, c'est fini pour elle...
Il disait vrai Marco, à quinze ans elle acceptait encore de monter sur ma mob, quand elle a eu dix-sept ans et moi dix-neuf, j'avais toujours ma pétrolette, mais j'avais perdu toutes mes chances de pouvoir la draguer. Je savais que je ne lui étais pas indifférent, mais aujourd'hui, sa beauté avait besoin d'être mise en valeur dans des bagnoles de luxe.
─ Alors Serge, toujours pas de turf ? Tu sais que je peux t'en fournir ! Si tu veux dans deux mois, avec ce que je te propose, tu te paies une tire canon... Réfléchis !
─ Tu sais très bien que je ne veux pas entrer dans ton trafic Marco, mais merci pour le conseil... Je vais réfléchir !
Il n'avait pas fallu longtemps pour que Mina se fasse jeter et j'en avais profité pour me rapprocher d'elle. Nous étions en plein mois de juillet et pour lui faire oublier ses déboires et l'éblouir comme Marco, je lui promis de l'emmener au bord de la mer dans une belle voiture. Je m'étais engagé et réfléchir n'était plus suffisant : maintenant, il me fallait agir.
J'avais déjà réussi quelques petits vols et je me dis que piquer une bagnole était moins difficile et moins risqué que de dévaliser une banque.
***
─ Elle n'est pas si mal que ça notre petite Porsche... Hein ? C'est vrai qu'il y a mieux, mais pour le prix, on ne va pas se plaindre... C'est quand même un coupé décapotable et sur la Croisette à Cannes, ça va en jeter...
─ Ouais, mais tu m'avais promis une bagnole "super haut de gamme" Serge et j'espérais mieux, mais bon ! Ce qui m'inquiète, c'est que tu as menacé son propriétaire avec ton flingue et ça j'aime pas, tu imagines dans quelle mouise tu aurais pu nous mettre ! Un coup, c'est vite partie !
─ T'es conne ou quoi ? C'est du plastique, comment veux-tu dessouder quelqu'un avec ça ?
─ N'empêche que c'est un vol à main armée et si on se fait pincer, on est bon pour les assises...
─ Ne t'inquiète pas Mina, j'ai un copain dans le business qui m'a changé les plaques, si on roule peinard y a pas de souci à se faire.
Depuis bientôt une heure nous roulons sur l'autoroute de L'Estérel et on a l'impression de glisser sur du velours tant, la voiture est confortable. Je bénis ce moment, car j'ai réussi à convaincre Mina de m'accompagner sur la Côte d'Azur et c'est déjà un réel bonheur de découvrir ces rochers couleur ocre s'incruster sur un ciel d'un bleu pur.
─ Waouh la bagnole ! Putain... elle nous a doublés à 240 au moins ! Je suis à 180 et j'ai eu l'impression de faire du sur-place ! T'as vu les mecs... celui au volant m'a fait un doigt d'honneur ! Qu'est-ce qu'ils peuvent être prétentieux ces gens bourrés de fric ! C'est une Mercedes G.L.S... ça vaut quand même ses 150.000 € ces bestioles-là, ça tourne comme une Rolex et ça monte à plus de 270 ! Pas la peine de faire la course... j'ai aucune chance !
─ Tu m'déçois Serge ! Cherche à m'exciter, Mina.
─ Si j'te dis qu'c'est pas la peine, c'est pas la peine !
─ Bon, puisque qu'on est là pour se promener, ne traîne pas à arrêter... j'ai envie de pisser !
L'aire de repos est déserte : seule la Mercedes qui nous a doublés encombre les lieux... Je donne un léger coup de volant pour aller me garer dans une seconde allée cachée par une rangée d'arbustes. Je fais signe à ma compagne de ne pas faire de bruit et je sors de la Porsche ; j'ouvre le capot et j'arrache des câbles du moteur.
Quelques minutes plus tard, Mina, alertée par des coups de klaxon, me rejoint. Elle retient son souffle, car je tiens fermement mon "plastique" et deux individus dans la ligne de mire, ils sont figés les mains en l'air à quelques mètres de leur voiture. Je fais ronfler le moteur de la G.L.S. et dès que Mina est installée, je démarre en trombe. Ils viennent de ramasser l'arme factice que j'ai jetée à leurs pieds et je ris de voir la tête des deux gugusse habillés genre 16e.
─ Tu voulais du super haut de gamme... ben voila ! Il y a même les papiers de la voiture dans la boite à gants. La carte grise et l'assurance sont au nom de Joël Guibre, si on se fait arrêter, on dira que mon oncle Joël est descendu par avion à Cannes et qu'il nous a demandé de lui amener sa voiture.
─ L'indicateur signale "Sain-Raphaël 7 km" on pourrait sortir là et finir le trajet par la Route de la Corniche ? Propose Mina.
─ C'est possible et je suppose que tu as toujours envie de pisser, souris-je.
Mina n'a pas eu la bonne idée car à Théoule-sur-Mer, un barrage nous oblige à arrêter. Après avoir vérifier mes papiers et ceux de la voiture, l'officier de gendarmerie déclare :
─ Ce n'est pas votre voiture, car la carte grise n'est pas à votre nom.
─ Oui, enfin non... elle est à mon oncle et je la lui amène, car de Paris, il a préféré rejoindre la côte en avion.
De nous voir si jeunes dans une voiture de cette valeur doit le laisser perplexe et loin d'être convaincu, il fait ouvrir le coffre : la découverte est effarante !
Le cadavre d'un homme assassiné de deux balles occupe l'espace. Les papiers trouvés sur lui sont au nom de Joël Guibre. Une arme est restée près de lui ; l'analyse dira qu'elle ne comporte aucune empreinte...
