« Edward, appela-t-elle en un murmure, je souhaiterais te parler de quelque chose qui me semble être important. Me laisseras-tu te le dire ? »

Comme s'il n'avait rien entendu, le jeune homme continua de fixer le liquide contenu dans sa tasse, et ne répondit qu'après plusieurs minutes qui furent bien désagréables pour son amie.

« Je pense savoir à l'avance ce que tu vas dire, Mei. Tu as toujours été perspicace. Dis-moi, Alphonse a-t-il remarqué quelque chose aussi ? »

« Pas à ma connaissance, rassura-t-elle, je ne lui ai rien dit et s'il se doute de quelque chose, il ne s'en est pas ouvert à moi. »

La future mère posa sa main sur l'épaule du jeune homme, dans un geste tentant d'être réconfortant, et elle rapprocha son visage du sien comme pour révéler un secret.

« Edward, tu ne vas pas bien. Je le vois et je le sens, même si tu es discret et que tu joues très bien la comédie devant les autres. Veux-tu te confier à moi ? » Et sa voix sonnait presque comme une supplique, une tendre tentative de faire comprendre à son beau-frère qu'elle était la personne la mieux placée actuellement pour l'écouter et l'aider, car elle savait. Le blond acquiesça lentement, comme incertain de la conduite à adopter, et un soupir las et résigné résonna comme un cri à travers le silence.

« Je confesse qu'il m'a fallu du temps pour te connaître et te comprendre, Edo. Maintenant, je parviens mieux à analyser tes réactions, ton comportement. Tu t'enfermes de plus en plus alors que la logique voudrait que tu laisses éclater ta joie causée par la paternité. Tous les yeux qui t'ont dévisagé t'ont vu heureux, savourant le bonheur conjugal et paternel, tous croient te savoir adulte et déterminé à aller de l'avant après toutes ces épreuves. Mais tu t'isoles, tu es absent parfois, ton regard semble chercher quelqu'un qui manque, qui te manque, et devient confus lorsque tu t'aperçois que cette personne n'est désespérément pas présente. »

Des yeux dorés se fixèrent enfin sur elle, avec crainte et curiosité à la fois, car si le jeune homme avait bien analysé sa propre attitude, sa belle-sœur elle, semblait en connaître la cause, et il n'était pas sûr de vouloir en savoir davantage.

« Alors je serais ainsi car une personne me manque ? Parlerais-tu de ma mère, ou pire, de Hohenheim ? Penses-tu qu'avec la naissance de mon fils, inconsciemment mon esprit se reproche la mort de Maes Hughes ? Penses-tu que voir un enfant me fait trop penser à cette petite fille que je n'ai pas pu sauver ? interrogea-t-il, et sa voix sembla se faire peinée au fur et à mesure qu'elle énonçait des questions presque rhétoriques. Mais il découvrit rapidement que son cheminement de pensée n'était pas le bon.

- Non, Edward, je te parle d'une personne vivante. »

Et cette phrase eut la même puissance que la foudre, car il sembla à l'aîné Elric qu'un éclair venait de le frapper, l'immobilisant et figeant ses capacités de penser, et Mei ne put cacher sa déception.

« Je l'ai remarqué dès la première fois que je t'ai vu à ses côtés tu t'évertues à clamer que tu n'apprécies pas cet homme, mais l'éclair d'admiration et d'affection qui apparaît dans tes yeux quand tu le regardes a échappé à tous sauf à moi. Tu lui as toujours obéi, tu lui as toujours été loyal, et dans un certain sens je pense que tu as toujours tout fait pour l'aider à atteindre son but – ne le nies pas. As-tu deviné l'identité de celui que tu adores, Edward ? »

Disait-elle vrai ? Un pincement dans son cœur lui apporta une réponse affirmative, et même sa raison semblait battre retraite et s'avouer vaincue. Incapable d'esquisser le moindre geste, comme si son corps refusait de se mouvoir jusqu'à ce que son esprit accepte la vérité, il sentit vaguement que la personne à ses côtés se levait et lui ôtait la tasse dans sa main. La mélancolie reprenait le contrôle sans qu'il ne s'en rende compte, et alors il ne maîtrisait plus rien, plus son corps, plus son esprit, plus sa respiration, pas même le cours de ses pensées, et alors qu'il s'interrogeait encore sur le sens de tout cela, un beau visage aux traits fins, dont la pâleur était mise en valeur par un col bleu et une chevelure d'un noir de jais exquis, s'imposa, doux, merveilleux, idéalisé, et il fut incapable de se défaire de cette image.

Mei avait-elle raison ? Mais il ne comprenait toujours pas pourquoi – ou ne voulait pas l'admettre – son ancien supérieur hiérarchique pourrait être la cause de son état actuel. Etait-il seulement possible d'être mélancolique à la pensée d'une personne encore vivante ? Il était vrai que les deux hommes se côtoyaient depuis près de dix longues années, cela leur avait laissé le temps d'apprendre à se connaître. Le Colonel avait été celui qui était venu le chercher ici, dans cette maison, pour lui proposer l'aide de l'armée, le Colonel avait réussi à lui obtenir une « autorisation spéciale » pour passer l'examen afin de devenir alchimiste d'Etat, le Colonel l'avait protégé en toutes circonstances sans jamais lui reprocher les dangers que cette action engendrait pour sa propre position, le Colonel l'avait encouragé et faisait partie des personnes qui avaient le plus espéré et attendu la réussite de sa quête. Finalement, le Colonel avait été pendant longtemps le seul homme dans la vie d'Edward qui se rapprochait d'une figure paternelle. « C'est cela, tentait-il de se convaincre, Mustang a été un père de substitution. »

Cela allait-il plus loin comme le suggérait sa belle-sœur ? Il paraissait logique que, en contraste avec la rancœur qu'il avait toujours éprouvée pour Hohenheim, Edward ait inconsciemment respecté et craint voire admiré le Colonel. Etrangement, il était assez aisé de penser cela à présent, et il n'en ressentait aucune honte. L'homme avait toujours eu un ascendant sur lui, ce que l'adolescent avide de liberté qu'il était avait longtemps contesté plus ou moins violemment, et il avait été – et peut-être était toujours – d'un niveau nettement supérieur à lui, au combat, en intelligence, en réflexion, en influence. A sa manière, le Colonel Mustang avait été un véritable Maître qui lui avait ouvert bien des portes. Et que ressentait-on envers son maître si ce n'était une loyauté inébranlable, une confiance aveugle – oui, Edward l'avait déjà confessé – et une dévotion inconditionnelle ?

« Celui que tu adores », avait affirmé Mei, et était-il seulement acceptable qu'elle ait été la seule à voir cela, elle, sa belle-sœur, l'épouse de son petit frère, celui à qui il n'avait jamais rien pu cacher ? Edward pouvait concevoir qu'il lui était possible de ressentir une certaine forme d'attachement comme celle que les subordonnés du Colonel nourrissaient pour leur chef, cet homme qui n'était porté que par son ambition, qui était certainement le seul à être digne et capable de diriger le pays, cet homme qui sans le savoir avait depuis longtemps provoqué un émoi intense chez le jeune alchimiste avec ses yeux hypnotisants, sa voix suave et rassurante, son charisme magnétique, et sa beauté presque irréelle qui faisait son succès ; mais le mot « adoration » tournoyait dans son esprit telle une obsession soudaine, une idée fixe, une voix qui se répétait sans cesse en écho. Et Edward se sentit brusquement mal, mal de penser que ce sentiment pouvait être plus profond, mal de penser que son cœur abritait cela à la veille du premier anniversaire de son fils, mal de craindre d'être involontairement un mauvais mari, mal d'être devenu une erreur de la nature, car dans le pays d'Amestris aucune loi interdisait les relations entre hommes, mais les gens se suffisaient à eux-mêmes pour être juges. Il eut un rire désabusé, comme le fantôme d'une joie perdue, comme l'écho sinistre d'un rire ancien qui n'avait pas eu le temps de s'échapper des lèvres. La voix du médecin qui était venu au chevet de sa mère retentit soudain à ses oreilles, clamant que la maladie de Trisha Elric n'était pas récente et qu'elle avait gardé ce secret au fond d'elle pendant des années – et l'idée farfelue qu'il ressemblait plus à sa mère qu'il ne l'aurait jamais pensé fit son chemin dans son esprit. Il paraissait avoir hérité de sa capacité à aimer inconditionnellement. Il commençait peu à peu à se lasser de se mentir à lui-même, et il fallait qu'arrive le moment où il admette qu'il était follement épris de Roy Mustang.

« Tu l'aimes, Edward, oui tu l'aimes, monsieur Mustang, et j'ai eu tort de penser que tes sentiments avaient disparu en te mariant, et j'ai peut-être tort aujourd'hui de te torturer ainsi, mais il me semblait juste de t'ouvrir les yeux, conclut Mei à ses côtés, alors qu'il n'avait même pas eu conscience de son retour dans la pièce. Je suis ton alliée, comme tous ici, et chaque oreille sera bienveillante si tu veux te confier, t'exprimer, peu importe ce que tu auras à dire.

- Je crois que je vais avoir besoin d'un peu de temps, Mei... » La jeune femme hocha de la tête, et si elle avait su à ce moment les tourments qui croîtraient dans l'esprit d'Edward, elle se serait abstenue de parler.



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