Chapitre 1 : Dawn

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   La détention est calme ce soir. Pas un cri, ni un sanglot ne se fait entendre. Seules les quelques notes de ma triste mélodie vibrent entre les murs clos de ma cellule. Adossé contre le mur, je tiens au bout des lèvres et des mains, une flûte semblable à un hautbois. Mes doigts filent entre les embouchures, animés d'une volonté propre. Mes yeux se ferment et me plongent dans une nuit réconfortante. Ma respiration devient profonde et apaise mes muscles, tendu d'une peur familière. L'acuité amplifie chaque accent. La cellule chante avec moi, m'accompagne et laisse échapper des barreaux entre ouvert un parfum de bonheur.

Au gré des notes, je peux oublier, de serrer les dents, d'être fort. Je ne me préoccupe plus de la profonde entaille qui plonge dans mon flanc, ou du sang qui imbibe et dégouline des mailles de mon haut. Et cette mélodie, comme un remède, referme lentement la plaie béante, si bien que bientôt, la seule trace de ma blessure réside dans la large tâche sanguinolente de son chandail. Ni cicatrice, ni douleur. C'est le seul don qu'il me restait, quelques mélodies ayant l'effet de sortilèges pour me tenir en vie et récupérer mon royaume. Soudain, de violents coups de matraque sur l'acier de sa cellule le ramenèrent à la réalité.

« Dawn, la ferme, beugla quelqu'un. »

Je lève les yeux en direction de la grille et voit un homme de taille moyenne, le ventre trop à l'étroit dans sa combinaison bleue et rouge. Je ne sais même pas comment il s'appelle celui-là. Les gardiens sont beaucoup trop nombreux pour ça. Il tient difficilement debout. Il est obligé de s'accrocher à la barre pour ne pas vaciller. Encore à se bourrer la gueule... Je lui adresse un regard dédaigneux, exaspéré par un comportement pareil et tout en le fixant reprend ma mélodie là où je l'ai laissé. Alors, bien déterminé à me foutre une raclé, le gardien s'avance, la matraque au-dessus de l'épaule. Ses pas se croisent et manquent de lui faire perdre d'équilibre. Il semble prendre une éternité pour parcourir les trois mètres qui me sépare du grillage, mais alors qu'il n'est plus qu'à quelques centimètres, une voix écrasante le stoppe net :

« Laisse, je m'en occupe. »

Ce ton, cette voix, je peux la reconnaître parmi mille. C'est Shadow. Et comme un instinct de survie, la panique m'assaillit. Mon cœur tambourine la poitrine. Le souffle fuit mon corps. Mes tremblements se font incontrôlables. Une chaleur étouffante me submerge. Je ferme violemment les yeux pour maintenir les larmes qui menacent de couler. Je serre désespérément ma flute contre moi, espérant vainement qu'elle puisse le faire disparaître. Mais c'est impossible, il ne partira pas comme ça, pas sans rien. Et là, à la surprise de tous, le gardien, énervé et saoul vocifére :

« Laisse-nous tranquille »

Ma mâchoire se décroche, abasourdi par la réaction du subalterne qui semble s'être rendu compte de son emportement trop tard. Je jette un bref regard aux deux hommes. Shadow fronce les sourcils. Son silence en dit long. Le gardien tente de se rattraper en balbutiant quelques mots incompréhensibles, mais il n'y a rien à faire. S'il y a bien quelque chose qui met Shadow hors de lui, c'est le manque de respect, qui plus est devant d'autre gens. On peut presque palper la frayeur émanante de l'homme. Ensuite, tout s'enchaine en un instant.

La main de Shadow se glisse à l'arrière de son pantalon. Une légère friction de la ceinture sur la matière froide. Un froissement étouffé. Puis, un éclat, reflet de la lumière sur le métal. Son bras, tendu, droit devant, face à lui. Et la sécurité, en un cliquetis, retirée. Son doigt glisse rapidement vers la gâchette. Et là, l'adrénaline. Sans savoir pourquoi, je m'interpose d'un bond entre les deux. Un éclair de surprise jaillit des yeux de Shadow mais rapidement leur habituelle froideur le remplace.

« Décale-toi, ou c'est toi que je tue, ordonne-t-il, impérieux.

Je reste statique malgré la menace, et secoue vivement la tête. Je ne veux pas qu'il tue le gardien. Il ne le mérite pas, personne ne le mérite. Même s'il s'agit d'un ivrogne qui prend plaisir à abuser de son pouvoir. Je ne veux pas mourir non plus. J'attends alors, au bord de la tachycardie qu'il réagisse.

AnarchieWhere stories live. Discover now