On a toute une peau pour se raconter nos vies

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Paris, 1984, sept heure du matin. Je suis réveillé depuis plus d'une heure, stagnant au fond de mon lit, attendant que mon réveil augure le début de ma journée. Mon crâne me martèle, chaque matin j'ai la sensation que ma boite crânienne se fait de plus en plus petite et comprime mon cerveau. Chaque matin j'ai la sensation que je ne vais pas m'en sortir, je suis prisonnier de ce mètre carré emmailloté de tissus, un combat sans merci pour m'en dégager. Lorsque j'y arrive enfin, je prends une douche, eau tempérée, j'enfile mon costume gris, mon manteau noir, je prends ma mallette, un café sur le chemin. Je suis prêt à affronter une nouvelle journée.

Chaque jour est rythmé par une heure de schizophrénie sévère à tendance paranoïde. Ensuite trois séances de bipolarité, un peu d'autisme, pause déjeuner, pédophilie, ancien taulard, et une suicidaire borderline, fin. Je prends le métro, Odéon, boulevard Saint-Germain, je longe l'université Descartes, direction le quartier latin, j'enlève mon pardessus, mon chapeau, et je me laisse engloutir par un confortable fauteuil de velour,. Un bourbon et j'attends la suite.

Ce soir elle s'appelle Myrna. C'est une américaine, elle n'a pas trente ans, elle est d'une beauté peu commune, le visage fin, angélique, impénétrable, les cheveux courts, bouclés, remonté par d'élégantes pinces à cheveux ornés de minuscules diamants. Je l'observe, mon rythme cardiaque s'apaise, j'ai envie de caresser son visage si fin et si beau, de poser mes lèvres sur sa nuque tendre et élégante, descendre dans son décolleté mais je me contente de l'observer et de l'écouter. Un si beau bijou, elle ressemble à une star montante de l'âge d'or du cinéma hollywoodien. Je passe deux heures en sa compagnie. Deux heures journalières vitales face à la laideur de mon quotidien. Ces femmes poétisent mes soirées, me permettent de m'accrocher à la splendeur, la beauté, l'éclat, la magnificence d'un monde que je n'habite plus. Je m'éclipse de la laideur de cette époque, de ce monde peuplé de la folie qui ravage l'existence humaine. Deux heures, deux heures ou je décroche, je m'abandonne, j'expérimente ma propre folie, j'explore, je vis. C'est fini pour ce soir, dernier bourbon au café Saint-Laurent, métro, je rentre et je finis par une douche ou je me lave de toute la saleté de cette ville, de cette vie, je gratte cette peau, cette enveloppe qui me sert de corps, d'habitat. Je me glisse dans mes draps nu, et médite agréablement à la soirée que je viens de passer, je suis rarement déçu de ces moments, Myrna... je resonge à ses yeux, ce vert surprenant, sa peau, je sens l'effet qu'elle suscite en moi, je me délivre, et je m'endors.

Six heures du matin, je suis de nouveau réveillé par une migraine. Je voudrais fendre ma boîte crânienne pour laisser plus de place à mon cerveau. J'avale des comprimés, j'attends que ça se calme. Une heure plus tard, je me lève, je prends une douche, je m'habille, je prends le métro. Comme tous les matins, il est surchargé. A côté de moi une femme d'une quarantaine d'année, elle porte un tailleur à la mode, kaki, à épaulette très large, jupe très courte, talons haut, brushing exagéré, grosse boucle d'oreille bling-bling. Sa coupe de cheveux nécessite une place prépondérante à elle toute seule. Elle pue le parfum de luxe, cocotte le n°5 de Chanel, m'empêche de respirer, me brûle la trachée, j'ai envie d'allumer un briquet juste pour la voir flamber comme une torche humaine.

J'arrive à la clinique, Lucie est déjà là, nous commençons l'entretien.

" Je n'ai pas dormis de la nuit, je suis persuadé qu'ils se cachent derrière les murs, ou sous le plancher. A quatre heures du matin je voulais tous les tuer, j'en ai marre qu'ils me laissent pas dormir, j'en peux plus. Alors je me suis levé et j'ai tout arraché docteur, j'ai fais un gros ménage, je voulais les trouver et les tuer, je n'ai plus de pitié, j'en ai plus rien à faire je les tuerais. J'ai arraché la tapisserie et j'ai balancé du produit sur les murs, mais ils étaient pas là, j'ai balancé la télé par la fenêtre, et j'ai arraché le parquet. Vous savez quoi ? j'en ai trouvé un, je le savais ! caché sous la commode. Je suis allé chercher la perceuse et je l'ai zigouillé ! je vous l'ai dit, j'en ai plus rien à faire." Je l'écoute parler, l'espace d'un instant je me mets à sa place, je vis sa folie, je pense que moi aussi je serai prêt à tuer si des voix me hantaient au point de ne plus me laisser dormir. La police a débarquée dans la nuit. Visiblement face à sa crise, ils ne savaient pas trop quoi faire, ils ne pouvaient pas l'arrêter, elle était incontrôlable, elle hurlait en se tenant la tête. Ils ont fini par appeler un psychiatre en urgence qui est venue lui faire une piqûre de sédatif.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 01, 2019 ⏰

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