Falling in Hell

Marionnette de la guerre

Tout allait bien à cette époque. Le soleil étincelait encore dans le ciel et le peu de nuages se faisaient souffler loin à l'horizon. Nos sourires se reflétaient dans nos regards et ces derniers brillaient au cours de nos discours. Nous parlions avec gaieté de tout et de rien, riions avec éclat à la moindre occasion. A cette époque, rien ne nous préoccupait, nous ne connaissions pas la fatigue, on voulait refaire le monde et nous jugions tout ce qui passait sous nos yeux. Cette époque encore candide, n'était en réalité que le préquel de l'horreur... mais innocentes comme nous étions, nous souhaitions que le temps passe plus vite.

Nuages noirs et colonnes de fumées remplacent à présent le bleu du ciel. La verdure des sols n'est plus, seule reste la terre battue par nos allées et venues. La dynamique des villes est devenue muette, comme soudainement paralysée par un silence de mort. La lueur des explosions et les cendres incessantes ont pris la place des rayons de soleil. Notre visage a sans doute oublié de quelle façon on souriait et nos sujets de discussions... ne sont plus que de brefs échanges sans consistance. La désolation environnante a fait de nos regards que de vides orifices perdus dans le vide. Nées de la poudre et la misère, nous ne sommes à présent que des marionnettes, des pions jetables au grès de nos résultats, remplaçable si nous venions à trébucher et dont l'échec ne figure parmi aucune option possible.

Si une venait à tomber, nous ne pouvions pas lui tendre la main. Il nous était impossible de regarder ces personnes nous abandonnant dans cet enfer. Elles étaient lâches, faibles, nous vivions cela comme une trahison. Car elles décidaient de partir en premières, il nous arrivait même de les détester pour cela. "Reste à terre, ne reviens jamais. N'oses seulement pas te relever face à moi, je t'achèverai si tu t'y risques. Fermes les yeux. Attends. Attends. Et pars sans que ta mémoire ne soit jamais honorée."
Nous éprouvions une profonde rancœur, une haine intarissable pour cette fragilité dont elles faisaient preuve. "Alors quoi ? Tu vas fermer les yeux et tout s'arrêtera ? Non. Non ça ne se passe pas comme ça. Ici tout cela continue. Notre torture ne prend pas fin car tu t'en vas. Ta fuite ne signifie que d'encore plus grandes douleurs à venir. Ta fuite égoïste ne fait que nous prouver que tu n'as que faire de nos blessures à nous."

Le temps file comme si rien n'avait d'importance. Oubliant les déchus, effaçant peu à peu le passé, le temps n'a que faire de ce que nous traversons.
Notre cauchemars continue, des semaines... des mois... ou quelques années. Nous avons perdu sa notion, mais il est certain que tout cela est loin de se terminer. Néanmoins, l'on nous dit "Tout sera bientôt fini, votre combat n'est pas insensé, il nous rapproche chaque jour d'une nouvelle époque".
Pourtant, il y a des nouvelles têtes toutes les semaines et ces nouvelles têtes se retrouvent face contre terre baignant dans leur propre sang quelques jours après leur arrivée. Il n'y a plus qu'une poignée d'entre "nous". Assez fortes pour rester debout dans toutes circonstances, on ne peut avoir confiance qu'entre nous et nous seules. Car nous avons vécu assez de bataille, car nous avons commencé ce voyage infernal ensemble.

Nous n'en voyons pas la fin, il y aura-t-il une seulement un jour ? Le temps passe et le désespoir s'agrippe à nous, il nous prend au cou, nous étouffe. Notre avenir de plus en plus flou efface pourtant peu à peu les souvenirs du passé. Une brise glaciale dans notre dos nous rappelle qu'il nous faut avancer, qu'il nous faut porter ce fardeau quoiqu'il nous en coûte... car rien ne peut-être pire que la mort, rien ne peut-être rattrapé une fois que tout s'achève. Alors, même le couteau à la gorge, même si nous asphyxions, même une chaîne attachée à nos chevilles, notre formation avance sans relâche... sur une route bien hasardeuse.

La folie a pris le dessus. Il est bien trop tard à présent pour faire ne serait-ce qu'un pas en arrière. La retraite n'a jamais été une option, voilà qu'à présent, en y réfléchissant un peu, elle aurait pu nous être salvatrice. Nos esprits délires, le cauchemars est bien pire encore, mais nous en sommes maintenant une partie intégrante.
Plus rien ne peut s'arrêter, eux, nous, cet enfer perpétuel, tout a pris une tournure bien trop démentielle pour que tout cela ait une fin un jour. Nous ferons connaître à toute âme sur Terre, cette absurdité qui nous a plongé dans cet état de psychose irrémédiable. Le Monde connaîtra la monstruosité qu'il a lui-même enfantée et il sera saisi d'une telle vision, qu'il en sera paralysé d'effroi.

La ligne de non-retour à déjà été franchie alors pourquoi ? A présent que nous n'avons plus rien, pourquoi ? Pourquoi nous annoncer cela maintenant que rien ne peut plus être rattrapé ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Nous pensions avoir enfin compris, nous étions enfin dans le bon état d'esprit, nous pouvions enfin faire face à n'importe quel ennemi... alors pourquoi ? Pourquoi nous dire que tout est fini ? Que tout cela s'achève ici, alors que nous n'avons rien réussi ? D'être humain à marionnette, de marionnette à monstre, de monstre à démon, il n'y a plus aucun moyen de faire machine arrière. Nous ne savons plus être quoique ce soit d'autre.
Mais il y a une chose que nous nous nous sommes promis, une chose que nous nous devons d'accomplir.
A présent devenu les fantômes de ce monde. C'est à notre tour de le faire sombrer dans le désespoir.