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« Café à 5H? » m'envoie Emily alors que j'avance, tête baissée, dans les couloirs du lycée. Je range mon portable dans ma poche arrière, sans lui répondre.
Depuis le retour des vacances, je l'évite. J'ai dû la voir en face deux fois depuis deux semaines et ne lui ai adressé que trois phrases. Je suis prise en étau par ma propre culpabilité, à tel point que la simple évocation de ma grande soeur me coupe les jambes et me donne des hauts-le-coeurs. Je suis ridicule.

Je longe les laboratoires, le nez rivé sur mes chaussures et la capuche de mon sweat vissée sur le crâne. C'est comme ça depuis que les cours ont repris; c'est-à-dire quatre jours. J'avance, rasant les murs, comme la paria que je suis devenue, et j'évite tout contact avec Jill. J'ai pris l'habitude de manger dans l'atelier, mon sandwich au thon et les gouaches pour seule compagnie. Mrs. Elliott est venue me rejoindre plusieurs fois, l'air contrit et compatissant face à ma situation de persona non grata.

Je longe le laboratoire numéro quatre, la pointe de mes chaussures bien en vue, quand ma vieille carcasse de parjure heurte une montagne. Je lève les yeux, à moitié assommée, et croise le regard amical de Charlie. Je suis en pleine croisade avec sa petite amie et lui me sourit à pleines dents, incroyable!

- Oh! Une revenante, lâche-t-il en rigolant.

Je sens mes pieds puis tout mon corps s'enfoncer dans des sables mouvants.

- Eh... bredouillé-je en dodelinant de la tête.

Je suis ridicule. Charlie éclate de rire. Je m'offusque; comment peut-il trouver tout ça drôle? C'est affligeant comme situation.

- T'as besoin de quelque chose peut-être... grommelle-je, vexé par son amusement face à mon évidente affliction.

- Reviens à la maison, dit-il d'un air pleurnichard.

Il se moque ouvertement de moi; je rêve!

- On est tous tristes sans toi, Heather. Tes remarques cyniques nous manquent. 

Son index mime une larme qui s'écoule le long de sa joue.

- Scott en a perdu l'appétit, il est devenu si rachitique. Genre pire que d'habitude!

Je roule des yeux.

- Et je te parle pas de Dan, il a le regard tout vitreux. Et puis Nate il en oublierait presque de faire la gueule tellement il est désorienté.

Je vois bien qu'il n'évoque pas Jill. Elle doit ricaner de contentement face à mon triste sort.

- Je suis en retraite spirituelle, répliqué-je. Ça a rien a voir avec vous. Promis.

A son froncement de sourcil, je sais qu'il ne me croit pas.

- Tu lui manques, Heather. Jill est même plus furax contre toi. Elle est malheureuse.

Je sens une boule m'étreindre la gorge.

- Elle te l'a dit?
- Elle a pas eu besoin.

Charlie me donne une tape amicale sur l'épaule et il taille la route.

...

Rassérénée par les propos de Charlie, je parcours les couloir le dos droit et les yeux bien en face des trous. Pourtant, il y a toujours cette petite voix dans ma tête, celle de Jill, qui me dit que j'ai mal agi; j'ai fini par comprendre qu'elle avait raison, et surtout en ce qui concerne Rebecca. Quand je la vois, sa veste en velours rose sur le dos et son sac à dos en cuir sur les épaules, qui entre dans les toilettes des filles, je cours à sa suite.
Je me glisse dans l'embrasure de la porte quand j'entends une voix masculine. Surprise, je sors un instant, le temps de vérifier. « Toilettes des femmes »; c'est bien le bon endroit. C'est donc le visiteur anonyme qui fait intrusion. J'avance le cou pour voir sans me faire voir, dévoilant au grand jour la James Bond girl qui sommeille en moi.

- Je te promets que j'ai quitté Cassandra, maugrée-t-il.
- Je te crois pas. Elle est venue me voir... Avec ses copines, argumente-t-elle, furibonde.

Becky appuie ses poignets contre le lavabo en soupirant.

- Je suis fatigué de tout ça, Chris.

L'interlocuteur anonyme est donc Christopher Lomes. Je reconnais sa toison brune et bouclée qui lui cache la moitié du visage. Comme s'il m'avait entendue, il poussa la tête de côté pour écarter une mèche de cheveux. Elle retombe devant ses yeux.

- Mais je te promets que je l'ai quittée.

Becky s'avance vers lui, les bras croisés.

- Et tu me promets aussi que c'était le cas avant qu'on couche ensemble?

Le caramel macchiatoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant