Et une autre journée

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           C'est une bonne journée qui s'annonce pour Paul. Le ciel est dégagé, pas trop de nuages à l'horizon, un soleil éclatant, une légère brise discrète faisant s'envoler les feuilles dans des tornades miniatures lui rappelant les joyeuses heures de son enfance. Il décide de profiter de ce temps rare par ces temps-ci pour se promener un peu, ayant un peu de temps à tuer avant son rendez-vous. En prenant ses affaires, il se remémore encore l'époque bénie où, insouciant, il allait avec les autres enfants jouer au football ou s'aventurer dans les chemins empêtrés de ronces des forêts avoisinantes : chaque journée était pour eux une nouvelle histoire, chaque chemin était une aventure unique et chaque but était une victoire divine et légendaire. Il se rappelle les moments passés à s'imaginer un public en liesse célébrant leur victoire ou des monstres gigantesques voulant sans raison les détruire. Il esquisse un sourire en abordant ces pensées, pense qu'il aimerait retourner à cette époque où son plus grand défi était de battre un être existant uniquement dans son esprit. Quelle époque bénie, en effet. Paul sort de ce soudain retour en enfance en heurtant par inadvertance un cadavre de souris étonnamment gros. Elle devait être ici depuis relativement longtemps, les mouches et vers ayant déjà commencé leur festin. Cette vision fit réprimer à Paul un haut de cœur, et le fit remettre dans sa marche errante. Il décide de profiter de son temps libre pour aller flâner du côté de sa forêt d'antan. Par réflexe, il regarde son poignet, voulant regarder l'heure, mais ne voit que sa manche serrée contre son bras, et se rappelle instantanément qu'il s'est fait volé sa montre il y a maintenant une semaine. 

Un groupe de trois brigands, les visages tendus par la haine et par les épingles à nourrices plantées entre leurs oreilles et leur joue, un couteau tendu pour l'un, une batte de base-ball ostensiblement montrée pour l'autre, et une simple chaîne en fer mimant pauvrement un poing américain pour le dernier. Trois contre un, évidemment que Paul ne pouvait rien faire, malgré les quelques cours de combat rapproché qu'il suivait depuis quelques semaines. Ils étaient apparus sournoisement au détour d'une rue et l'y avaient emporté avec insistance. 

« File nous ta montre le bourge !, dit le coutelier,

 - A moins que tu ne préfères repartir avec une jambe en moins..., glissa peu discrètement la seconde base, 

- Ou même ne pas repartir du tout. » , compléta le combattant de rue. 

Paul avait mal pris le « bourge » de cet énergumène : cette montre il ne l'avait pas payé, c'était un souvenir de son frère, mort peu auparavant. Le traiter de riche, c'était l'insulter, mais il n'était pas en mesure de se battre. L'adrénaline n'ayant que faire de la supériorité numérique des assaillants, elle poussa Paul à lever la tête et dire une réplique cinglante : « Je préférerai plutôt ne pas... »

 Le coup de batte fut sanglant en plus d'être lui aussi cinglant. Il fit tomber raide Paul au sol, le coup ayant touché son genou. Les trois affreux profitèrent de cette mise à terre pour passer à l'acte, à se demander pourquoi il n'ont pas commencé par là. Toujours armes sorties, deux bloquèrent Paul par le torse et les jambes, le troisième enlevant sa montre de son poignet. Une fois le méfait accompli, les trois crachèrent sur Paul et s'en allèrent, le laissant seul, pleurant la perte de sa montre fraternelle. 

Quelle honte j'ai été, pensa-t-il en rabaissant son bras. Il se trouvait décevant depuis, étant incapable de garder un cadeau de son frère, omettant au passage les conditions de cette agression, et le fait que les vauriens ne se privaient plus depuis un certain temps de passer violemment à l'acte. Ravalant son ego, il sortit son téléphone et observa l'heure : il lui restait une heure et demie, et quinze pour-cents de batterie. Largement suffisant, il n'utilisait plus tellement son téléphone, n'ayant plus grand monde à qui parler. Le chemin le plus court pour aller à la forêt passe par la 99eme Avenue, mais elle est fermée depuis deux semaines et le spectaculaire accident qui s'y est produit, obligeant Paul à passer par la Little Man Avenue. Il décide de profiter de ce trajet un peu plus long pour réfléchir à son rendez-vous. 

Et une autre journéeWhere stories live. Discover now