-Je suis désolée, Aria, mais je n'aime pas les adieux, souffle-t-il, une lueur déterminée dans le regard.

Samuel repose la feuille sur la table, et se prépare un sac à dos, avant de prendre la direction de la sortie du camp sans se poser davantage de question. Quand il arrive près de l'arbre de Thalia, il s'arrête quelques instants pour poser ses lèvres sur la partie du bois qui figure le front de sa soeur, et murmure :
-Je vais te sauver, mais j'ai d'abord quelqu'un d'autre à aider.
A cet instant, une feuille tombe de l'arbre et flotte doucement jusqu'à ses pieds. Il y voit un signe de bienveillance et se lance sur la route.

Après plusieurs heures de marche, il s'arrête brièvement pour prendre quelques minutes de repos.
Quand il se réveille, il sursaute en voyant des visages familiers penchés sur lui, et se remet d'un bond sur ses pieds :
-Alban ! Sadia ! Qu'est-ce que vous faites-là ?
-Tu ne pensais pas qu'on allait te laisser partir seul à la recherche d'Aria ? questionne son meilleur ami, l'air sombre.
-Honnêtement ? Je l'espérais.
-Tu nous connais mal, déclare Sadia. Et comment est-ce que tu comptais la rattraper alors qu'elle peut voyager avec les ombres et qu'elle est sûrement déjà loin d'ici ?
-Je...
La fille d'Arès lève les yeux au ciel et se décale pour faire apparaître dans le champ de vision de l'adolescent deux chevaux ailés, les pégases de la Colonie.
-Allez, monte, on se remet en route tout de suite.
Le blond esquisse un sourire gêné mais ne laisse pas à la jeune femme l'occasion de répéter.

Ils volent pendant une bonne partie de la nuit, puis sont obligés de s'arrêter pour laisser aux pégases l'occasion de se reposer. Samuel, angoissé, dort peu. Un mauvais pressentiment lui noue l'estomac. La réaction d'Aria, ses adieux, couplés aux derniers vers de la prophétie, qu'il n'a pas oubliés, ne le rassurent pas.

Quand ils font une seconde halte dans une forêt, quelques heures plus tard encore, il reste confus alors qu'il descend de la monture qu'il partageait avec la fille d'Arès.
Il met un moment à réaliser que ce qui l'intrigue est l'absence des bruits habituels dans le bois en pleine journée. En revanche, il perçoit d'une manière ténue des grognements.

Il ne consulte pas ses deux amis avant de partir en courant dans la direction concernée. Il entend l'exclamation surprise d'Alban mais ne s'arrête pas.
Si c'est bien les grognements de monstres qu'il perçoit, Aria n'est probablement pas loin.

Alors que le vacarme se rapproche, il pousse un peu plus sur ses jambes pour atteindre le haut de la colline.
Arrivé en haut, il se fige brusquement. Ce sont près de trente monstres qui sont rassemblés en bas de la cuvette. Il n'a jamais eu l'occasion d'en voir tant au même endroit.

Les créatures de cauchemar ne l'ont pas encore remarqué, toutes fixées vers le même point.

Il la voit enfin. La chevelure rousse d'Aria, trop loin de lui. La jeune fille est coincée, entre deux arbres, entourée par deux monstres. Elle en achève un, mais elle a à peine le temps de se retourner que la serre du second lui traverse l'abdomen.
Le monstre s'écarte d'elle, prêt à frapper une deuxième fois alors que la rousse vient de s'effondrer.

-ARIA !
Le cri de Samuel couvre le bruit du combat. C'est un cri de désespoir et d'horreur.
Des éclairs foudroient les monstres restants, y compris celui qui s'en est pris à Aria.

Merci, père.
Ce n'était pas moi, fils.

Entendre son père lui répondre le fait sursauter, mais il n'a pas le temps d'y penser. Aria.
Il se précipite vers la jeune fille, et s'agenouille pour prendre son visage entre ses mains.
Il relève la tête :
-ALBAN !
Mais il est trop loin, entrain de redescendre la colline en courant.
-Arr...ête.
Le souffle de la jeune fille est si faible que c'est à peine s'il l'entend.
-Sam...
Elle semble vouloir sourire, mais elle n'y arrive pas. Le sang qui s'échappe de son ventre et se répand sur le sol l'empêche de bouger. Elle pâlit à toute vitesse.
-Je suis désolé, Aria.
L'esquisse de sourire de la jeune fille devient lisible.
Par le regard, elle semble vouloir lui dire " je sais ". Même si elle souffre en réalité terriblement.

Il se penche pour l'embrasser, et effleure ses lèvres. C'est léger et doux. Puis il se redresse un peu.

Le regard de la jeune fille se vide, et il lui ferme les paupières, avant de se relever, de la colère dans les yeux.

Tout a commencé avec cette stupide Quête. Ils auraient mieux fait de laisser leurs pères respectifs régler leur conflit.
Mais la jeune fille ne fonctionne, fonctionnait pas ainsi. Il l'avait compris dès qu'il l'avait vu, la première fois, devant l'arbre de sa soeur.

Il l'aime aussi pour ça. Sa manière de ne suivre que les règles que lui dictent sa conscience.

Il refuse de parler d'elle au passé. Il a l'impression qu'il ne pourra jamais le faire.
Il hurle toute sa peine, sa colère, son désespoir, les yeux tournés vers le ciel :
-Ça vous amuse de faire ça ? De voir vos gosses mourir pour un conflit que vous avez déclenché ? Vous ne méritez pas vos noms ! Vous n'en avez rien à foutre des hommes, et encore moins de ceux qui portent la moitié de vos gènes !
Il sent une main se poser sur son épaule, et il se retourne brusquement, avec violence.

Le regard d'Alban douche sa colère, et le silence qui a envahi la forêt le prend aux entrailles.

Face à la tristesse de son ami, Samuel se rend à son tour compte qu'il ne reste plus que la peine.

-Regarde ce que tu as fait.
Pas de reproche dans la voix du brun. Peut-être même un peu de fierté.

Les corps des monstres qui entouraient encore quelques instants plus tôt Aria sont à présent entièrement calcinés.
-Ça n'a servi à rien, peine-t-il à articuler.
Son meilleur ami le prend dans ses bras, mais Sam est incapable de répondre à l'étreinte. Il a l'impression que son monde s'effondre. Il ne connaît pas la sensation qui lui broie le coeur. C'est peut-être de la haine pour les dieux, leurs parents, qui ne les ont jamais protégés. Pour le monstre qui a tué celle qu'il aime.

Ou juste une peine immense. Une envie de revanche.
Il repousse Alban, et lui murmure :
-Rejoins Sadia, et prévenez Chiron.

Son meilleur ami lui jette un regard à la fois peiné et inquiet. Malgré son expression sombre, Samuel le rassure à voix basse :
-Ça ira.

Alors Alban se détourne de lui et rejoint Sadia, qui, en haut de la colline, est restée figée, le regard balayant la scène, stupéfaite. Le blond, quand à lui, s'agenouille près d'Aria. Le sang répandu sur le sol, et que son pantalon éponge, lui importe peu.

Il aurait préféré voir un visage paisible, mais celui de la jeune fille ne l'est pas. Elle a eu mal, et cette idée déchire un peu plus le coeur de l'adolescent.

Il lui effleure la joue. Déjà glacée.
Une larme coule, et va s'écraser sur la peau encore plus pâle qu'à l'habitude d'Aria.

Il n'en a rien à faire de la prophétie.

Ça ne peut pas se terminer comme ça.
Ça ne peut pas...

Les larmes se déversent, et il se sent incapable de les arrêter.

ϟ Je ne vais pas te laisser seule, Aria.
Peu importe les dieux qui
se mettront en travers de
ma route.
Peu importe ton père et le mien.
Je te laisserais plus jamais tomber.
Je te le promets. ϟ

FIN DU TOME 1

Shadows [ Terminée - En correction]Where stories live. Discover now