Morceau quatorze - Hel

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Paris

Évidemment, je suis stressé. Je n'ai jamais rencontré de parents, à part ceux de Paulo. Parce que les miens n'étaient pas des exemples assez pertinents pour utiliser le terme parents. Géniteurs, taulards, drogués, alcooliques, violents, oui, parents, non.

Archyos essaie de me rassurer depuis deux heures. Il n'est pas reparti travailler. Il m'a dit que Danny allait lui en foutre une mais qu'il s'en foutait comme de sa veste noire. Et vu la tête de ses autres vestes bariolées aux formes multiples, je suppose qu'il n'en a vraiment rien à faire.

J'ai décrété qu'on irait à moto chez son père et, comme le bon chieur qu'il est, Archyos a refusé. On s'est engueulés avant qu'il accepte. Je suppose que c'est notre seule manière de communiquer. Je remarque surtout qu'il est aussi borné que je suis rancunier. C'est un véritable cocktail explosif.

Finalement, nous avons réussi à passer un après-midi entier sans nous entretuer violemment et je crois sincèrement que c'est une bonne chose. Archyos est resté relativement distant. Ses lèvres ne se sont pas approchées des miennes. Ses mains sont restées sur son pantalon. Mes provocations sont restées vaines. Et ça m'énerve.

Lorsqu'il enjambe la bécane, ses bras viennent s'enrouler naturellement autour de ma taille et un sourire de satisfaction étire mes lèvres. Les rues s'enchaînent bien trop rapidement à mon goût et je me surprends à regretter la chaleur de ses bras lorsque je gare ma moto dans la cour.

Je me garde bien de lui faire part de mes émotions d'amoureux transi et les démentirai jusqu'à ma mort s'il le faut. Et d'ailleurs, je ne suis pas amoureux de ce type.

La baraque de son père est immense. Bien plus imposante que les immeubles miteux que j'ai connus. Nullement impressionné, Archyos s'avance en me tendant la main. Je ne la saisis pas et passe devant lui pour accéder à l'entrée.

Je suis un connard qui regrette. C'est dit.

Avant que je n'aie pu sonner, la porte s'ouvre en grand sur un homme aux cheveux grisonnants et Barbie. Une blonde de vingt-cinq ans aux lèvres siliconées, ce qui fait un rappel avec ses seins qu'elle exhibe fièrement dans un décolleté qui ne laisse aucune place à l'imagination.

Archyos habillé me fait bien plus d'effet que cette créature surnaturelle.

— Fils. Jeune homme.

J'hallucine. Le mec s'est cru dans un épisode de Downton Abbey pour m'appeler jeune homme.

— Je suis assez vieux pour que vous puissiez m'appeler Monsieur, Monsieur Archyos, annoncé-je en serrant sa main tendue.

Archyos fils et Archyos père s'étouffent à la fin de cette phrase, probablement impolie par ici. Il a absolument tenu à ce que je vienne, il n'a plus qu'à assumer son idée pourrie.

La blonde s'appelle Natalya, avec un Y, comme dans yaourt.

Le joyeux couple prend la tête de notre petit groupe afin que l'on s'installe dans le salon. Le petit salon. Celui réservé aux apéritifs avec les invités. Au fur et à mesure des pièces, j'ai l'impression d'avoir débarqué dans un château. Et je vais sûrement finir dans le cachot à cause de ma grande gueule.

— Avoir rembarré mon père comme ça, c'était génial, chuchote Isaac à mon oreille avant de la mordiller indécemment.

Visiblement, c'est à son tour de jouer le provocateur. Je devrais le rembarrer, mais la vérité c'est que ses petites attentions flattent mon ego. Et peut-être un peu plus.

Lorsque son père part nous chercher à boire, probablement un truc très cher qui arrache la gorge. Quelque chose comme un cognac ou une peut-être un Glendronach, douze ans d'âge. Tout me va, je ne suis pas là pour faire la fine bouche.

— Je t'ai entendu dire Hel, tu veux dire Hel comme le grand chanteur, star internationale ? demande la blonde.

J'aurais dû me douter qu'à vingt-cinq ans, elle allait forcément me connaître. Pas nécessairement être une fan assidue avec mon visage tatoué dans son dos, mais au moins me connaître. Elle fait partie de la tranche d'âge que je dois viser.

— Le seul et l'unique ! plaisanté-je faussement.

Elle tombe dans le panneau et rit à son tour. Si je fais tout ce manège, c'est pour éviter qu'elle ait l'idée fabuleuse de baver sur moi auprès des journalistes. Mon agent serait furieux et me ferait signer toute une palanquée de contrats juteux que je déteste, juste pour se venger. Et ainsi se payer plus d'héro et d'escorts.

— Chéri, tu savais que l'on reçoit une star ce soir ?

Le père d'Archyos me détaille avec tout le dédain qui est le sien. Ouais, je ne suis pas avocat ou médecin. Ouais, mon avenir est plus incertain que si j'opérais des gens à cœur ouvert, mais je m'en tape.

— Ah ? s'étonne-t-il.

Ce repas me saoule déjà et j'ai envie de prendre ma moto pour me casser. Un coup d'œil à l'objet de mes pensées et je décide de rester. Si ce repas est pénible pour moi, je n'ose imaginer ce qui se passe dans la tête d'Archyos à cet instant.

— Oui, papa. Hel chante et joue de plusieurs instruments, tu devrais lui montrer ton piano.

Je regarde Isaac de travers, personne ne sait que je m'essaie au piano et que je me démerde plutôt bien. Seul Damien est au courant et il ne veut pas que je montre cet aspect de mon soi-disant talent. Il parle de toujours garder une corde à son arc, pour surprendre le public.

Je crois surtout qu'il pense que le piano n'est pas assez rock pour correspondre à l'image qu'il m'a forgé.

Mon regard fourmille de questions mais Archyos m'ignore obstinément et fixement. Il provoque son père implicitement et j'ai l'impression d'être l'instrument de cette joute mentale. Alors que sa main se cale sur mon genou, je me sens brûler et son père pose la bouteille sur la table.

— Soit. Écoutons un morceau de ton ami.

Je sais pertinemment que Isaac se sent victorieux à cette annonce, mais moi je trouve qu'il s'est comporté comme un connard. Il n'a pas le droit de se servir de mes sentiments et émotions pour parvenir à ses fins. Je croyais qu'il l'avait compris.

Je me retrouve obligé de les suivre dans une autre pièce où trône un piano. C'est tout. Le mec a une salle entière pour un piano à queue qui prend la poussière. Bien. D'un signe de la tête, il m'invite à m'asseoir sur le tabouret.

Je suis presque sûr qu'il se retient de poser un torchon pour que je ne salisse pas ses précieux biens. Lorsque mes doigts frôlent les touches, un frisson me parcourt et me retourne l'estomac. Ça fait un moment que je n'ai pas touché un piano.

De manière inexpliquée, la présence d'Isaac derrière moi a un côté apaisant et j'en profite pour me remémorer une partition que j'ai inventée il y a quelques années. Je m'étais inspiré d'un truc que j'avais entendu à la télé.

La mélodie emplit la pièce rapidement et un silence de mort accueille les premières notes. Je ne fais pas le fier, mais je sais que j'ai quelqu'un à impressionner. Archyos père. Quelques minutes plus tard, j'arrête le morceau et referme le piano.

— C'était bien. Passons à table, annonce-t-il en disparaissant dans le couloir, Natalya sur ses talons.

Alors que je me relève, Isaac fond sur mes lèvres avec une rudesse que je ne lui connais pas. Ses mains se posent dans le creux de mes reins et sa bouche se met à butiner mon cou. Je souffle d'aise avant qu'il ne se décolle à regret.

— Tu l'as subjugué, même s'il ne l'avouera jamais. Et moi, tu m'as donné envie de te faire toute sorte de choses sur ce piano.

Bien. Je crois qu'il vient d'annoncer officiellement que je lui plais.

Les choses accélèrent vite puisque c'est une histoire qui a vocation à être courte. Enfin, normalement.

Maestro Where stories live. Discover now