Morceau onze - Isaac

450 53 16
                                    

Paris

C'est bien beau de faire le fier pendant la soirée, à descendre des bières comme si j'étais un puits sans fond. Sauf que, maintenant, la vérité me revient en pleine gueule. A petites bribes et pas entièrement, parce que évidemment j'ai oublié quelques moments importants de cette soirée.

Ce que je sais, c'est que j'ai un mal de crâne inhumain, que Val est probablement homo et qu'il ne me l'a jamais dit. Alors, ouais, les coming-out c'est vraiment de la merde, mais j'aurais aimé qu'il me le dise. Parce que c'est comme ça que fonctionnent les relations. Et je sais aussi que j'ai fait de la merde avec Hel et que maintenant, il m'en veut.

La seule preuve dont je dispose est son absence de réponses à tous mes messages. Autant dire que je n'ai rien.

Je lui ai pourtant dit que j'étais bourré et que je ne voulais pas l'embrasser, mais il ne me répond pas. Et, à ce que je sache, il ne m'a pas spécialement repoussé. Une faute partout, la balle est au centre. Il ne faudrait pas que cela compromette nos relations professionnelles, vu qu'on est nuls avec celles personnelles.

Danny me fout toujours une pression de merde avec ce papier sur Hel. Pour me protéger de ses cris et de sa colère destructrice, j'ai omis de lui dire que Hel refusait de m'adresser la parole depuis quelques jours déjà. Les tympans de tout l'étage me remercient.

Je crois que le pire dans tout ça, c'est que son indifférence m'affecte. Un peu. C'est imperceptible à l'œil nu, mais c'est bien présent. Je sais désormais que Hel n'est pas ce connard imbu de lui-même avec des chevilles énormes. Enfin, il ne l'est pas complètement.

A chaque nouvelle journée de travail, je dois me réfréner pour ne pas vérifier mon téléphone à chaque instant. C'est assez déroutant. Régulièrement, j'hésite à lui envoyer un nouveau message où je prends la responsabilité de ce qui s'est déroulé entre nous. Mais à chaque fois, je me ravise lâchement. Parce que je l'ai déjà écrit ce message et il n'a reçu aucune réponse.

Alors que je grogne contre mon ordinateur pour écrire ce papier pourri – parole de frustré −, celui qui me sert vaguement d'assistant se plante devant moi. Je n'ai pas envie de lever les yeux vers lui. Parce que j'en ai marre de sa tête. Mais je n'ai pas le droit de le virer. Danny dit qu'il en a marre de payer les thérapies de mes anciens assistants.

— Il y a une enveloppe pour vous. Elle vient de la photographe.

Spontanément, je relève la tête, il commence à m'intéresser. Je veux voir les photos d'Hel.

— Merci !

S'il est surpris que je le remercie, il a l'intelligence de ne pas le laisser paraître. Encore une fois, je ne suis pas mère Thérèsa et c'est tant mieux.

Je défais l'enveloppe fébrilement. Je n'ai pas le souvenir d'avoir été aussi stressé pour mon diplôme de journaliste. Peut-être que j'étais un peu trop alcoolisé pour y réfléchir. Pour le coup, tous mes neurones sont bien présents, dopés à la caféine mais présents.

Je m'attendais à des clichés de qualité, connaissant le talent inné de la photographe. Cette femme a de l'or dans les mains et la façon dont elle capture les moments est assez unique. Donc, ouais, j'étais préparé à du talent comme elle sait le faire.

En revanche, ce à quoi je n'étais pas préparé, c'est d'être subjugué de cette façon. Hel est incroyable. Son regard est perçant. Ses cheveux sont en bordel, c'est un capharnaüm savamment dompté. Ses tatouages semblent animés sur sa peau blanche.

Je reste un instant sur ma chaise, les bras ballants, la bouche entrouverte. Une conclusion s'impose à mon cerveau ; Hel est putain de sexy.

Alors, évidemment, je cherche comment j'ai pu passer à côté de cette information pendant toutes ces années. Je suis journaliste, je suis supposé tout savoir. Et pourtant, je viens de me prendre cette vague de plein fouet.

Plusieurs possibilités à cette question. Peut-être que ma haine aveuglait mon esprit et empêchait mes neurones de se connecter. Était-ce vraiment de la haine ou une espèce d'admiration grossièrement déguisée ?

Je ne sais pas.

Un instant plus tard, je parviens à me ressaisir. Je sors mon téléphone de ma poche, là il va être obligé de me répondre. Enfin, c'est ce que j'espère et c'est loin d'être gagné. Il semble être assez rancunier.

« Bonjour Hel. J'ai reçu les clichés de la photographe. Je pense que vous devriez passer au siège d'OTS pour y jeter un œil. I. »

Je ne sais pas non plus pourquoi je m'obstine à vouloir garder cette distance ridicule entre nous. Je l'ai déjà franchie quand je l'ai invité à boire un verre. Chez-moi. Et j'ai piétiné la distance quand j'ai posé mes lèvres sur les siennes, un peu gercées. En somme, ça ne sert à rien, mais je suis têtu.

Quand l'heure du repas a sonné, je me suis forcé à laisser mon téléphone dans un des tiroirs de mon bureau. Attendre ses messages devient stupide, il est temps que je me fasse à son indifférence.

Luc n'est pas venu me déranger pour me dire que Hel m'attendait à mon bureau. Quelle journée pourrie.

En me rasseyant sur mon siège, je me plonge dans mon article, j'invente des tournures de phrases que je ne pensais même pas possibles. Je rajoute des adjectifs mélioratifs de tous les côtés. On dirait que Hel m'a payé pour que je sois gentil.

Alors que c'est loin d'être le cas. Je suis juste un connard qui vient de sortir de sa grotte. Dommage que ça soit arrivé après que j'aie tout foutu en l'air. Tout seul, comme un grand garçon.

Avec un peu de bonne volonté, l'article avance plus vite que prévu et surtout, plus vite que d'habitude. J'y passe l'après-midi, mais je m'en fous royalement. Lorsqu'il est presque vingt heures, je me décide à plier bagage, bien après Luc ou Danny.

Je prends l'enveloppe contenant les photos bien que je ne sache pas vraiment pourquoi je fais ça. J'ai l'impression que je dois garder ce trésor pour moi, encore un peu. Je deviens insensé.

Je me surprends à prendre l'escalier jusqu'au rez-de-chaussée. Les secrétaires ont déserté les lieux et l'extérieur est frais. Je marche rapidement jusqu'à la bouche de métro la plus proche. Le trajet est long, comme toujours.

J'hésite à rentrer à l'appartement. Je ne suis pas sûr d'avoir envie de passer ma soirée seul. Le programme reste néanmoins plus alléchant que de passer voir ma mère qui rêve de trucider mon père, tandis que ce dernier se tape la moitié des jeunes filles de la capitale.

Une famille de rêve.

J'allume la lumière quand j'arrive à mon étage et je découvre une forme amorphe devant la porte de l'appartement. Ce n'est clairement pas Val. L'espoir me dit que c'est Hel, la raison me dit de fermer ma gueule et d'aller vérifier.

— Tu es un sacré connard Isaac Archyos, annonce-t-il alors que je m'approche de lui, son téléphone allumé dans sa main droite.

Bien. Encore une belle soirée en perspective.

Maestro Where stories live. Discover now