Chroniques de Bellwade

Cimetière

C’était la première fois qu’il venait là. D’ordinaire, le vieux cimetière de la ville n’était pas son lieu de rencontre favori, mais ce soir-là, il avait dû se plier aux caprices de sa mystérieuse interlocutrice ; son enquête piétinait plus depuis trop longtemps.

Alors qu’il avançait au milieu des tombes aux formes et aux couleurs diverses et variées, son regard accrocha le tombeau familial d’une des plus importantes familles de Bellwade. Sa curiosité piquée au vif, il s’en approcha doucement et siffla d’émerveillement devant l’édifice qui avait en réalité la taille d’une drôle de maison qui se serait tenue très étroitement sur plusieurs étages. Au sommet, une étrange girouette tournait sur elle-même alors qu’il n’y avait aucun vent ; le détective frissonna en resserrant le col de sa veste.

— Il y en a qui ne se refuse rien, hein ?
— C’est vrai.

Malgré l’état de contemplation dans lequel il était plongé, le lutin avait entendu les pas approcher dans son dos. En réalité, son interlocutrice n’avait pas réellement cherché à être discrète, et il ne se retourna pas tout de suite pour la regarder. Cette dernière vint se planter à côté de lui et ils continuèrent à détailler le tombeau en silence.

Sur la porte, une plaque aux reflets améthyste était gravée avec les noms de toutes les personnes enterrées là.

— Les morts devraient retourner à la terre. Nulle part ailleurs on ne retrouve de lieu aussi lugubre.
— Certains diraient qu’il s’agit d’une des preuves de la civilisation avancée de Bellwade.
— Je répondrais que c’est plutôt le signe de la trop grande influence humaine sur nos modes de vie.

Le détective hocha lentement la tête et se tourna finalement vers l’inconnue. Elle portait une cape dont la lourde capuche était rabattue presque entièrement sur son visage, mais il sourit. Il n’avait eu aucune peine à reconnaître sa voix ; son retour à Bellwade, même pour un court instant, même dans un contexte aussi étrange, le rendait heureux.

— Efface ce sourire idiot.
— Tu as dit que tu avais des éléments importants à me donner ?

Avec un soupir, la lutine baissa sa capuche, dévoilant une longue chevelure bouclée.

— C’est peu de choses, mais il semblerait que tout soit lié à cette vieille bicoque dans l’ancien quartier gobelin. Un trésor serait enterré dans des galeries sous les fondations.
— Tu y as été ?

La lutine haussa les épaules.

— J’ai mieux à faire. Je prépare une expédition pour le grand nord.

Le détective hocha la tête d’un air compréhensif. Quand on voyageait d’un bout à l’autre du monde, quelle importance pouvait bien avoir une pauvre légende urbaine ?