Acte I : Le magasin de poupées

44 5 3
                                    

Paris, 1855.

Au loin, baignant dans le soleil couchant, la cathédrale de Notre-Dame faisait tinter ses cloches avec force. Sarah et sa mère remontait la rue pavée, quand la fillette tira sur la manche de cette dernière. Son regard s'était attardé sur une magnifique vitrine derrière laquelle trônaient de majestueuses poupées de porcelaines. Elles avaient toutes un teint rosé ou pêche, de beaux cheveux soyeux finement coiffés, ornés d'un somptueux chapeau élégamment posé, et des yeux profonds,presque réalistes, qui donnait l'impression de vous suivre du coin de l'œil. Elles entrèrent dans la boutique exiguë et contemplèrent les étagères aux multiples jouets. Sur l'une d'entre elles, on distinguait un petit ramoneur grimpant à son échelle et une jolie bergère, à la robe rose poudrée, tendant une main, comme pour le suivre dans sa fuite. Sarah admira les deux amants en fugue puis posa son regard sur une poupée à l'allure particulièrement singulière. Elle possédait deux yeux vairons, l'un bleu, l'autre vert, des lèvres rouges carmin et des cheveux de jais. Sa tenue était faite de soie aux reflets bleutés, ses chaussures noires étaient vernies et deux grandes ailes blanches immaculées poussaient le long de sa fragile échine.

_Regarde maman, on dirait un ange ! s'extasia l'enfant.

Alors qu'elle s'en emparait, un vieil homme maigrichon apparût derrière le comptoir et vint à sa rencontre.

_ Eh bien, elle te plaît n'est-ce pas ? interrogea t-il, les yeux rieurs.

_ Oh, oui, monsieur !

Sa mère arqua un sourcil et déclara sur un ton condescendant:

_ Oui, c'est un bel objet. D'où provient t-il ?

_ La porcelaine vient d'Allemagne, mais c'est moi-même qui assemble leur corps, et peint leur visage. J'y ajoute ma touche personnelle.

_Combien coûte t-elle ?coupa la femme.

L'homme parût surpris qu'on lui demanda le prix mais répondit néanmoins avec un sourire.

_ Je la cède pour quarante francs. Mais c'est bien plus qu'une simple poupée,vous savez.

Elle ne prêta guère attention à sa remarque et sorti l'argent de sa bourse. L'homme compta prudemment l'argent puis glissa les pièces dans poche avant de se pencher à l'oreille de la fillette.

_ Tu sais, elle a déjà un nom. Elle s'appelle Lorelei.

Sarah n'avait jamais entendu un aussi joli prénom et elle trouva qu'il lui sciait à merveille.

_ Prend bien soi d'elle,elle est fragile, ajoutât-il en lui tapotant la tête d'un geste bienveillant.

La jeune enfant et sa mère sortirent du petit magasin et poursuivirent leur chemin jusqu'à leur maison. Une fois arrivée, la petite fille se rua dans sa chambre pour présenter sa nouvelle amie à tous ses jouets qui jonchaient le sol. Elle présenta Lorelei à de vieilles poupées abîmées autour d'un goûter imaginaire, la fit monter sur le dos d'un cheval à bascule, puis dessina son portrait avec sa nouvelle palette de peinture. Elle rayonnait de joie. Le soir venu, elle la coucha près d'elle pour s'endormir après avoir écouté une histoire narrée par sa maman.

Je n'arrive pas à fermer les yeux. Certainement car je suis dénuée de paupières. Je sens la petite main de ma propriétaire me maintenir fermement.J'aimerais glisser de sous son bras et vagabonder à ma guise dans cette nouvelle demeure. Il y a temps d'objets que je n'avais encore jamais vu. Mes compatriotes de porcelaines semblent dépourvues de paroles et d'émotions. J'ai bien tenté de leur parler durant le thé, mais elles n'ont pas réagi à ma voix et leur regard était vide, inexpressif. Je me demande s'il y a d'autres âmes comme moi dans cette maison. En attendant de faire leur connaissance, je n'ai plus qu'à admirer le visage de ma douce amie qui dort paisiblement.

La poupéeWhere stories live. Discover now