deux;

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Visage dans le matin, pastel. Des nuages timides dans un ciel clair et un quartier résidentiel qui se réveille sans agressivité. Deux garçons dans la rue, un soleil caché. 7h42.

Il a pris sa main, il l'a prise très fort. Minho sent cette marque sur sa peau, la marque de la sienne, étrangère. Il n'y pense pas vraiment, mais c'est tout de même incongru, cette autre peau sur la sienne. Ça n'a pas l'air d'avoir beaucoup de sens, et il ne veut pas en chercher. Et pourtant, il est là, l'autre, qui lui tient les doigts, qui lui tient les doigts entre ses doigts, si fort. Et qui ne le regarde pas, qui le guide sans le savoir.

Minho ne sait pas grand chose, mais il sait que quelque chose a changé, et il n'est pas certain de le regretter. Peut-être même que c'est un peu moins vide, dans son crâne. Peut-être même que Han Jisung y est.

Il lui enfonce un écouteur doucement dans l'oreille, et c'est une autre chanson qui commence, bien différente de la première. Beaucoup moins lente. Une chanson à danser, mais en souriant, et en sautant sur le sol en faisant craquer les lames du parquet. Une chanson à chanter sans connaître les paroles, une chanson qui parle de jolis ciels et de jolis soleils. Et même si celui-là est gris, ça n'a pas tellement d'importance.

Ils marchent en ligne droite, ils respirent l'air clair. Les oiseaux chantent pour les réveiller. Et puis il commence à pleuvoir, délicatement, sur son front. C'est une pluie encore un peu fraîche, à petites gouttes qui chatouillent. Elle se dépose sur eux, elle se dépose sur le monde. Et c'est comme si il devenait réel, tangible, solide. Trempé. Le monde se révèle à lui, et dans le fond il ne sait pas s'il l'a déjà vu. Il n'y pense pas vraiment, mais ça semble tout nouveau. Encore gris car le soleil est parti, encore pâle et plat, mais plus aussi blanc. Il a déjà oublié son carrelage cassant, les murs de crépi rugueux, la chanson du salon. Il a déjà oublié son cœur attaqué, son cœur compressé, écrasé entre les murs.

L'autre lui tient la main.

Il ne voit pas ses yeux, il ne voit que son dos. Que son dos couvert de petites gouttes, de petits points de couleur. C'est comme du pointillisme très précis, des millions d'infimes larmes accrochées au tissu. Des millions de morceaux de ciel. Et même s'il n'y pense pas vraiment, c'est joli à regarder. Minho se demande si il y a les mêmes dessins flous sur son dos à lui, Minho se demande, se demande, se demande et son esprit encore assoupi lui dit de retourner dormir. Il y a trop de couleurs ici, et peut-être même qu'elles vont devenir vives. Imagine du rouge, du bleu, du vert. Imagine comment ça fait mal.

Mais Minho secoue la tête. Il n'y pense pas vraiment et l'autre le tire par le poignet. Il le mène jusqu'au bout de la route, jusqu'au croisement. Il y a des arbres le long des rues, couverts de petits bourgeons blêmes, de petits bourgeons comme la pluie sur les habits, sur les troncs gris. Il le mène jusqu'au croisement. Quelque chose dans ses poumons paraît un peu douloureux, mais il n'y pense pas. Il n'y a plus tout à fait que du vide, dans son crâne. Il y a cette chanson qui tombe comme la pluie, qui tombe en sifflant, qui tombe en riant, comme si tout allait bien. Il y a cette chanson qui sourit.

Et même s'il ne voit pas ses yeux, même s'il ne voit que son dos fragmenté, il lui semble bien qu'il sourit aussi, Han Jisung.

Il le mène jusqu'au croisement. Le croisement des petites rues avec la grande route, avec les grands ponts, les grands immeubles. Les arbres de l'autre côté ont une autre couleur. Les arbres de l'autre côté ont l'air d'avoir des fleurs. Les oiseaux volent jusqu'au sommet des grands immeubles de l'autre côté. Les autres se réveillent de l'autre côté. Il pleut plus fort, de l'autre côté, et le monde entier est baigné de ciel, de l'autre côté. Minho regarde de loin, Minho préfère regarder sa main, ses pieds, ses rues à lui où les arbres sont timides, où il ne pleut pas trop fort, où les esprits ont choisi de dormir encore un peu. Il vient seulement de remarquer que ses pieds étaient nus, et il fait un peu froid, tout d'un coup. La pluie faiblit. La main dans la sienne se fait moins douce, il ne sait plus le nom de ce dos.

Quand ils arrivent au bord du trottoir, la chanson s'arrête.

Quand ils arrivent au bord du trottoir, la main se détache de la sienne. Ou est-ce que c'est lui qui la lâche ? Il se demande, il se demande, il se demande si c'était une bonne idée. Il se demande s'il ne vaut pas mieux rentrer. C'est bien trop dangereux de traverser, bien trop dangereux d'aller de l'autre côté. Qui sait ce qui pourrait arriver ? Il y a sans doute des couleurs, de l'autre côté.

Il recule, il recule à pas lents. Les grands immeubles, les fleurs, les pluies s'évaporent et c'est sans doute mieux ainsi. Il recule, il ne pense pas, il n'y a plus personne au bout de son bras. Mais l'autre se retourne. Il ne voit pas ses yeux, son visage semble découpé dans du coton, un peu vague et un peu flou.

- Ne t'inquiète pas, je reviendrai.

Et c'est comme si notre histoire était un jour, un unique jour. C'était le matin et pourtant, on s'est revus dans une autre soirée. J'étais appuyé au mur, quelqu'un venait de me mettre un verre dans la main. J'essayais sincèrement de m'intéresser aux conversations mais ils semblaient parler à travers une vitre opaque. Alors j'acquiesçais régulièrement, et ils ont fini par m'abandonner par dépit. Je ne devais pas être crédible.

Et puis tu étais là à nouveau, Han Jisung. Tu t'es avancé dans la grande salle mal éclairée, et tu as pris possession de la musique. Tu as mis cette chanson qui paraissait un peu banale, mais qui m'évoquait quelque chose. Quelque chose comme de la vie, comme du soleil, comme un endroit bien loin de là. Je crois que tu ne m'as pas vu, mais je t'ai regardé danser. Il n'y avait pas grand monde avec toi, mais tu sautais comme un fou sur un rythme un peu incertain.

J'ai surtout vu ton dos pendant la chanson, surtout entendu ta voix alors que tu essayais de chanter sans connaître les paroles. Et puis, quand elle s'est terminée, tu es ressorti. Je ne suis même pas sûr que tu étais invité. 

Un jour - MinsungWhere stories live. Discover now