Bonus S&T 1 : point de vue de T

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- Est-ce qu'on peut ajouter un verbe à la question ? m'interroge Célia. Genre « boys are sexys, don't you think ? »
Ses yeux marron me scrutent, l'air terriblement amusés.
- On n'est pas trop bonnes en Anglais, mais on se débrouille pour les bases, argue Adélaïde en donnant un coup d'épaule à sa copine.

Bien que je lève les yeux au ciel, je suis moi aussi amusé malgré moi. Ces filles là sont bien les premières à connaître mon secret, et plutôt que me traiter comme un handicapé en ne mentionnant pas « le secret », elles choisissent d'en rire. Elles ne m'ont pas demandé la permission, elles le font, c'est tout. Et c'est sans doute ce qui fait que je me sens si bien avec elles. Je me sens libre. Moi-même. Ce doit être la première fois que je me sens moi en présence d'autres personnes de mon âge. Avec les filles, je n'ai pas peur de commettre une erreur, de laisser filtrer mon secret. Je n'ai pas à chercher mes mots, à les sélectionner uns à uns. Je suis moi. Travis Webbs, seize ans et demi, homo assumé. Et elles s'en foutent. Et moi aussi.
Je pousse le vice au point de leur répondre, me penchant sur la table, les deux mains à plat.
- Yes, you can. And ye...
Mais je ne terminerai jamais ma phrase. La porte d'entrée de chez les McRoilly s'ouvre brusquement, laissant d'abord pénétrer les rires de deux garçons. Un garçon brun à lunettes, que j'ai entraperçu à la fête de l'anniversaire du frère de Célia, et le frère de Célia lui-même, tous deux trempés jusqu'aux os. Ce dernier abaisse sa capuche au tissu imbibé de pluie, révélant ses cheveux châtains qui dégoulinent jusque dans sa nuque. Cette vision à elle seule est un argument quant à la réponse que je m'apprêtais à donner à Célia.
Yes, boys are sacrément sexy.
- I...think.

Je ne m'en rends pas compte, mais j'achève cette réponse dont le début s'était profilé dans ma tête, tout en reprenant place sur ma chaise. Je tente de réintégrer mon rôle de professeur temporaire mais l'ami de Steeve - McRoy pour les amis, autrement c'est Steeve comme il me l'a dit plus tôt - prend la parole, ignorant que nous étions en train de travailler.
- Porter des lunettes quand il pleut, c'est vraiment la pire chose au monde, râle-t-il en cherchant désespérément un coin de son sweat qui ne soit pas complètement trempé, histoire d'essuyer les verres de ses lunettes.
- Ouais, mais au moins quand tu n'as plus envie de voir les gens, t'as juste à retirer tes lunettes, argumente Steeve qui lui se débarrasse de ses baskets en les abandonnant sur le paillasson de l'entrée.
- Vous êtes sérieux ? claironne Célia. Vous n'avez pas pris le bus ?

Accoudée sur le dossier de sa chaise, elle jette des regards agacés aux deux garçons. Bien que la réponse me semble évidente au vu de leur état, je me garde bien d'intervenir. Je ne connais pas ces deux garçons, Steeve à peine, et je n'ai jamais vu Célia en colère. Ses éphélides se retroussent sur son nez quand elle fronce les sourcils, ce qui lui donne l'air d'une petite souris. Une petite souris en colère. La vision est adorable. Mais ça aussi, je me garderai bien de lui dire.

- Pas le courage d'attendre le bus pour deux kilomètres, répond Steeve en se hâtant de retirer son gilet noir.
Il abandonne l'habit au sol par-dessus ses chaussures, sans autre forme de procès. Sa réponse heurte mon petit confort personnel. J'aime la pluie. J'adore la pluie même. Je pourrais rester des heures à regarder la pluie, à écouter la pluie. Parfois même quand il fait beau et que j'ai envie d'écrire, je charge le son de la pluie sur une vidéo youtube dont seuls les angoissés de la vie ont le secret et je me laisse emporter. Oui, j'adore la pluie. Mais pas au point de rester en dessous sans problème. De me laisser tremper. Personnellement j'aurais pris le bus. Même pour deux kilomètres. Peut-être même pour un.
- Vous allez tomber malade à rester mouillés comme ça, gronde Célia.
Le garçon brun à lunettes repose justement ses lunettes sur son nez, offrant un sourire à la cadette des McRoilly. Je suppose qu'il la connait depuis longtemps. J'espère. Je ne me verrai pas sourire à quelqu'un que je ne connais que depuis peu et qui est en train de m'engueuler. Je n'ai pas ce courage.
- Mais non, répond Steeve.

Dans les coulisses de L'esprit Du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant