Mille couleurs

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— Il se passe quelque chose avec Clarke !

C'est tout ce que me lance Murphy une seconde après avoir pratiquement démoli ma porte, me réveillant par conséquent en sursaut et me laissant dans un état de panique hébété. Finalement, devant mon immobilité et mon silence, il s'écrie :

— Dépêche !

Je repousse les draps qui me recouvre, attrape un bas de jogging et un t-shirt que je passe à la va-vite, et m'empresse de suivre John, déjà à l'extérieur. Mes chaussures m'attendent déjà devant l'entrée et je les enfile sans les lacer, avant de trottiner pour le rattraper. Je me cale sur son pas rapide et agité et le suis dans les rues de Sanctum, notre nouvelle planète.

Nous atteignons une intersection et l'éclat du soleil - des soleils - me frappe. Je cligne des paupières en levant une main pour protéger mes yeux encore ensommeillés de la lueur de l'aube. Six mois sur Sanctum n'y auront rien changé et je ne sais pas si je m'habituerai un jour à cette luminosité qui donne à chaque couleur un éclat éblouissant et saturé. Même à cette heure, leurs rayons sont puissants et semble me réchauffer de l'intérieur.

Après 125 années passées en sommeil à une température si basse qu'elle cryogénise littéralement votre corps, une légère hausse du mercure n'est pas de refus. Surtout que depuis mon réveil de cryo, je n'arrive pas à me détacher de l'impression d'avoir constamment froid.

Cela n'a absolument rien à voir avec le fait que je suis célibataire à nouveau. Je n'ai pas besoin de m'en persuader, je le sais. Echo et moi avons rompu depuis des mois d'un commun accord et je suis remis de cette séparation depuis presque aussi longtemps.

John interrompt brusquement mes pensées en tournant soudain à droite avant d'emprunter une ruelle si étroite que nous ne pouvons y marcher côte à côte.

— Où est-ce que tu m'emmènes, Murphy ?

— Chez Clarke. C'est un raccourci.

Sur ce point, je ne pouvais que lui faire confiance et continuai de le suivre à la trace, le laissant naviguer dans les rues comme en terrain conquis. Je ne m'étais rendu chez Clarke que trois fois depuis notre arrivée sur cette planète, six mois plus tôt. Lui, avait sûrement emprunté ce chemin des dizaines et des dizaines de fois - ce qui était sûrement vrai vu la fréquence à laquelle Clarke et lui se rencontraient.

De ce que j'avais pu constater, le jeune homme était désormais la personne la plus proche de Clarke. S'il y avait bien une amitié que je n'avais pas vu venir, c'était celle qui liait férocement John Murphy et Clarke Griffin. Pourtant, à y bien réfléchir - et j'y avais réfléchi bien plus de fois que je ne l'avouerai jamais - ce n'était pas surprenant. Les deux jeunes gens se ressemblaient sur bien des points et s'il m'avait fallu du temps pour étouffer et comprendre ma colère et ma jalousie, j'étais finalement heureux que Clarke ait une personne près d'elle, une personne avec qui partager son fardeau.

Petit à petit, j'avais observé John devenir son confident, l'épaule sur laquelle elle pleurait, la main tendue qui la relevait. Je n'étais plus celui qui la faisait sourire, ni celui à qui elle se livrait, ni celui qu'elle regardait, avide de réponses et de réconfort.

M'écarter pour lui laisser la place que j'avais autrefois occupée avec tant de fierté avait assurément été la deuxième chose la plus difficile que j'avais eu à faire. En première place arrivait "laisser la femme que j'aime mourir sous une vague radioactive et mortelle".

Au fur et à mesure que les rues commencent et que d'autres se terminent, je me remémore les rares moments où Clarke m'avait reçu chez elle depuis notre arrivée sur Sanctum.

Mille CouleursWhere stories live. Discover now