Toujours pareil

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Toujours pareil. À peine sont-ils entrés dans ce petit bar à vin niché sur un coin de rue, très sympa, très tendance, très bien noté sur Internet, que le serveur leur retourne un sourire d'excuse. Entschuldigung, ce soir ils sont pleins, il fallait réserver. À gauche du serveur, sur une table haute, trône une pile de livres de Mark Ruffendorfer, ou un nom dans le genre, accueilli pour une lecture de son dernier roman.

Les voilà dehors. Fais chier. L'improvisation à la française, le laissons-nous vivre, on verra bien, s'adapte mal à l'Allemagne. Font chier ces Allemands, à toujours tout prévoir. Il fait froid. Lui a faim. Elle en a plein les bottes de la bière, le temps d'une soirée, elle veut revenir un peu chez elle, retrouver son petit verre de vin, plonger son nez dans la vigne, que le pourpre sacré ruisselle sur ses papilles.

Tant pis, ils verront bien. La cloche du tram sonne, ils montent par l'arrière, prennent place, derrière trois cinquantenaires, mi-punk, mi-rockeurs, 100% imbibés de la bibine locale, l'Ur-Krostitzer, en train de brailler et d'échanger des rires gras. Leurs regards s'accrochent à Elle quelques secondes, pas des regards sales, courants en France, non des regards étonnés, curieux, se demandant d'où peut bien sortir ce genre de poule, qui vient de leur offrir un Hallo poli.

La cloche du tram sonne de nouveau, Elle et Lui descendent sur l'Augustus Platz, que les trois camarades restés dans le wagon appellent toujours Karl Marx Platz.

Sur Internet, Elle a vu des trucs, pas trop mal notés, ils n'ont qu'à marcher vers le Markt, ils trouveront, vers la Barfussgärchen, parmi les dizaines de restaurants, de bars, ça devrait le faire.

Lui ne dit pas non, il ne dit pas oui, ça le gonfle, ils vont tourner en rond, au moins une heure, devant restaurants et bars avec musique, foule, monde et prix élevés, sans entrer nulle part. Parce qu'ils sont des Français se prenant pour des Italiens, vénérant les belles assiettes, aussi rares dans les quartiers touristiques que la pluie dans le désert.

À l'entrée du Mädler passage, Il jette un œil furtif sur les tables, là où les fourchettes se plantent, les prix sur la carte de la Trattoria di Parma. Non. Ça sent l'arnaque, le mal de ventre et la promesse d'une barre au crâne, le lendemain matin. Et plus loin, au fond du passage, le bar à vin. Non, pas grand monde, non, pas son truc.

Sorti du passage, dehors, sur la Barfussgärchen, ça grouille, épaules, épaules, ça rit, boit, boit, boit, siphonne, s'abreuve, trinque, glouglougloute, des litres et des litres. Non, non, non, pas pour eux.

Internet. Internet. Oh Internet. Dis-leur où aller fourrer leur nez, poser leurs fesses, alléger leur compte bancaire. Machin Bordel 1770, noté 4,2 étoiles sur 5 par 103 utilisateurs, là, à sept minutes. Ils retraversent la Barfussgärchen, bravent la foule, les litres et les litres, remontent la place du Markt, les mains dans les poches, frigorifiés, Elle marche lentement, à cause de ses bottines à talons, Lui s'évite de lui dire d'accélérer, pour éviter une petite brouille.

C'est ici ? Ils sont plantés devant un hôtel de luxe. Se tournent l'un vers l'autre, haussent les sourcils. De la fenêtre à croisillon, ils aperçoivent une table de trentenaires en costumes et robes, en train de dîner, les coudes collés au corps, la tête haute, sous des lustres Grande époque. Mouais. Mouuuuais. C'est pas là, et c'est cher. Plus loin, il devine l'emplacement du bar à vin Machinchouette 1770. Pas un chat. Tout petit. Ils vont aller là, tous les deux, un samedi soir, à Leipzig, la ville qui renaît de ses cendres, présentée comme le nouveau Berlin, la nouvelle ville du tout est possible. Non. Non. Non.

Et s'ils allaient chez Renkli, demande Elle, le truc qu'elle a vu sur Internet, noté 4,7 sur 5, ça l'air très bien. Un truc de Turcs sûrement, répond Lui, Renkli veut dire coloré en Turc, ce doit être pas terrible, et elle le sait bien qu'ils n'y connaissent rien en vin. Et ils ne vont pas retournés sur la Karl Liebknecht Strasse, ils y sont allés hier, et avant-hier, non, ça saoule.

Elle et IlWhere stories live. Discover now