5. Harry

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Une séance. Une deuxième. Puis une troisième. 

Les changements sont infimes. J'ai plus l'impression de stagner que de réellement avancer. J'ai toujours ce sentiment d'oppression quand je me retrouve devant la porte. Ça m'est d'ailleurs toujours aussi difficile de l'ouvrir. C'est encore plus problématique d'ouvrir la bouche devant les autres personnes présentes. Mes progrès sont aussi visibles que des pattes de mouches, pourtant je les sens, au plus profond de moi. Ils se ressentent surtout au travers de mes envies. J'ai comme une rage en moi. Une rage de m'en sortir, d'aller de plus en plus vers l'avant. Même si pour l'instant, ça ne reste qu'un sentiment, il est bel et bien là.

Ce qui est déjà énorme.

Durant les deux dernières séances, j'ai beaucoup observé et énormément écouté. Les personnes venant ici sont extrêmement courageuses. Je fais pâle figure à leurs côtés. Je ne dis toujours rien, je suis assez effacé. Puis il y a le gars au bloc-notes. Il ne parle pas, mais il est hyper attentif, comme s'il apprenait. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais je m'interroge beaucoup sur sa présence parmi nous. Il n'est définitivement pas comme nous. Son regard m'avait déstabilisé la première fois que j'étais venu ici. J'avais d'ailleurs failli prendre mes cliques et mes claques et m'enfuir sans demander mon reste, tellement il m'avait mis mal à l'aise. Depuis ce jour-là, ça ne s'est pas reproduit. Quand nos regards se croisent, il sourit de manière bienveillante et fait un léger signe de tête comme pour me saluer. Ça en reste là. Je pense qu'il sait qu'il faut du temps.

Aujourd'hui, je me rends donc à ma quatrième réunion.

J'y suis. Je suis devant la porte de l'association. J'ai grimpé les marches qui m'ont amené au premier étage, là où se déroulent les séances. Cependant, maintenant, comme à chaque fois, je suis bloqué. Je n'ai pourtant qu'à appuyer sur la poignée et ouvrir la porte pour me retrouver à nouveau immergé dans tout ça. Je sais qu'il faut que je le fasse. Je sais que grâce à ça, je vais avancer un peu plus, mais ça m'est toujours aussi pénible. Entrer dans cette pièce signifie me retrouver face à des personnes qui se racontent, qui évoquent à voix haute mes peurs et mes souffrances. Cela signifie me montrer, me dévoiler, avouer à tous ces gens que je suis comme eux, que leur souffrance est la mienne. C'est comme se mettre à nu. C'est extrêmement difficile, car dans un sens, c'est accepter ce qui m'est arrivé, ce que je suis devenu.

Je souffle un grand coup, comme j'ai eu l'habitude de le faire tant de fois ces derniers temps et je pousse enfin la porte. J'entre le plus discrètement possible dans la pièce où sont déjà installées plusieurs personnes. Laura, une jeune femme que je croise à chaque fois, me fait un sourire. Ça me donne le courage de m'avancer et de m'asseoir sur une chaise. À la même place que les séances précédentes. Ça me fait un repère. J'en ai besoin.

Depuis que j'ai commencé à venir, je raconte régulièrement ce qu'il se passe ici à mes parents ou encore à Zayn. Ils ont toujours l'air fiers de moi. Ils tiennent à peu près le même discours tous les trois. Celui que mon ami m'avait tenu à la suite de mon premier jour. Je sais bien que ça va aller doucement, qu'il faut que je sois patient et que je dois me contenter des petites avancées que je vais faire au jour le jour, mais j'ai peur de les décevoir. Je crains qu'ils s'attendent à un changement rapide, ce dont je ne suis pas capable. Il faut que je me détache du regard des autres et que j'avance à mon rythme, sans me soucier des autres et de leurs attentes.

L'important, c'est moi.

Zayn et ma famille sont d'un soutien sans faille, mais même si leurs conseils sont toujours avisés, ils sont trop impliqués. Ma psy fait son boulot correctement. Elle m'aide, mais je ne me retrouve pas complètement dans le travail que je fais avec elle. J'ai besoin de quelqu'un qui pourrait me guider, tout en connaissant mon problème. Quelqu'un qui m'apporterait les réponses et l'aide dont j'ai besoin, mais avec un côté humain. C'est ce qu'il manque dans la relation que j'ai avec ma psy justement. Ici, je peux trouver cela. Il faut juste que je m'ouvre assez et que je tombe sur la bonne personne. C'est pourquoi aujourd'hui, j'ai décidé de rester au café de fin de réunion.

Pour n'être qu'avec toi (LS)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant