Chapitre 1

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Des inconnus.
Voilà ce que nous sommes, les uns pour les autres, depuis maintenant plus de cinq ans.

J'ignore tout, ou presque, de ce qu'ils sont devenus, de ce qui a pu se passer dans leur vie depuis ce triste jour de juillet 2015, et je ne cherche pas vraiment à le découvrir. Bien qu'il m'arrive encore de croiser leur regard dans les couloirs de la fac ou d'apercevoir un visage familier durant un cours que nous avons en commun, nous n'échangeons jamais le moindre mot. À quoi bon ? La seule personne qui réussissait à tous nous réunir n'est plus là pour effectuer cet exploit.

Après le drame, notre amitié s'est effritée, petit à petit, finissant par disparaître entièrement. Les embrassades amicales sont devenues des sourires timides avant de ne laisser place qu'à l'ignorance et le dédain. Il ne reste presque plus rien de notre passé en commun, si ce n'est quelques souvenirs lointains qu'on a tous essayé d'oublier.

Pour ma part, en vain.

Ses souvenirs, ils se manifestent exclusivement dans mes rêves, lorsque je me permets enfin de lâcher prise, de me laisser guider par mon inconscient. Je l'autorise alors à caresser d'un doigt ces images de mon enfance, ces images à la fois douce et amer, ces images qui me rappellent tout ce que j'ai perdu, mais qui ont fait de moi la personne que je suis aujourd'hui. Mais le plus souvent, et comme ce fut le cas ce matin, elles sont nimbées de noirceur, aussi glaciale que la mort elle-même.

Je me revois, me débattant dans des eaux tumultueuses, indomptables, essayant de remonter à la surface, de me maintenir en vie, inutilement. L'air fini par me manquer, l'eau par s'infiltrer dans mes poumons et le ciel par disparaître peu à peu de mon champ de vision. Puis vient, le néant, ce noir absolu, cette sensation de froid, de condamnation. Et pour finir, le bruit strident de mon réveil, mettant un terme à ce cauchemar qui hante mes nuits depuis maintenant bien trop longtemps. Des années qu'il me colle à la peau et j'ai parfois l'impression qu'il fait partie de moi, qu'il a toujours accompagné mes nuits agitées.

Je me suis longtemps demandée si tout ça avait un sens, si je devais en tirer une quelconque leçon. Je me cherchais constamment à savoir si ce mauvais rêve n'allait pas au-delà qu'un simple songe. Peut-être qu'on essayait de m'envoyer un message ou un avertissement. Contre quoi, contre qui, ça je n'en savais rien, mais il y avait forcément une explication derrière ce cauchemar qui se répétait, encore et encore, comme une boucle sans fin. Et j'avais eu la merveilleuse idée de parler de toutes mes suppositions à mes parents, espérant qu'ils m'aideraient à comprendre. Grave erreur. Et vous savez pourquoi ? Parce qu'on n'est pas dans un de ces films fantastiques où je suis l'héroïne. Je ne suis qu'une adolescente, qui plus est, banale, ressassant un peu trop son passé révolu.

Du moins, c'est ce que la psychologue avait tenté d'expliquer à ma famille. Non, je n'étais pas folle. Oui, j'allais bien, enfin, plus ou moins. Je gérais simplement le deuil comme je le pouvais, à ma façon. J'essayais de trouver du réconfort dans la mort de mon ami, me persuadant qu'il essayait de me prévenir d'un danger, du danger. Celui qui avait causé sa mort et qui pourrait causer la mienne. C'est ainsi que, tous les mercredis, pendant près d'un an, je me suis rendu dans le cabinet du Docteur Griffin, une femme aux traits tirés, aux cheveux grisonnants et au regard empli de jugement. Je crois qu'elle ne m'appréciait pas vraiment, mais je le lui rendais bien. Nos séances ne se résumaient qu'à des échanges platoniques et sans grands intérêts. Je n'aimais pas la façon qu'elle avait de me toiser pendant que je lui racontais pour la vingtième ou cinquantième fois mon cauchemar, alors un jour, j'ai simplement arrêté et j'ai commencé à mentir.

Mais je n'ai jamais cessé de rêver de ma noyade. Et plus le temps avançait, plus de détails apparaissaient.

***

Souviens-toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant