Le bar aux pianistes

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Le bar aux pianistes

Plein hiver 1994, il fait un temps de chien. Keith se les gèle depuis des heures dans la rue en face du pont de Brooklyn. Elle n'est jamais venue. Il a attendu pendant une éternité. Les passants sont partis et les oiseaux sont rentrés dans leurs nids. Il a vu le soleil se coucher et la lune se lever. Maintenant il déserte dans les rues, ses yeux fixant le vide avec toute la lassitude du monde. Ses yeux sont vides, son cœur aussi. C'est alors qu'il entend un bruit dans le vent, c'est presque inaudible mais il le sait, il en est sûr, c'est elle. Une lueur brille dans ses yeux, il va la trouver. Chacun de ses pas est réfléchi et contrôlé, il se déplace lentement mais avec détermination. Il passe une rue puis deux, tourne à l'angle de la suivante et suit le mur sombre des bâtiments qu'il longe. Ses doigts frôle la pierre, il ne s'en rend qu'à peine compte. Le son s'est intensifié, c'est de la musique, un air de Jazz dans l'air qui l'entraine vers l'inconnu, vers elle, vers sa perte.

Cela fait un moment qu'il marche en suivant ce bruissement dans l'air. La population s'intensifie au cours de son trajet, il bouscule maintenant quelques personnes, s'excuse sans vraiment savoir vers qui se tourner. Il s'arrête au coin d'un tabac, reprend son souffle et allume une cigarette. Ses doigts sont froids, il n'en a que faire. Il écoute désormais d'une oreille distraite.

Les rues ne cessent de se remplir et le brouhaha continu de s'intensifier. Une passante s'arrête alors. Elle prend la main de Keith, lui dit quelques mots et s'en va. Il ne sait plus quoi penser. Il finit sa cigarette, pince le mégot entre ses doigts et l'envoie valser par-dessus un taxi. Ses pas reprennent avec un rythme soutenu, il tourne au prochain croisement qu'il rencontre. Le morceau de jazz reprend, s'est-il jamais arrêté ?

Une enseigne brille alors parmi les toits, Keith regarde longuement ce qui est écrit sans vraiment prendre la peine de lire. Il avance, se tient face à la porte de métal le surplombant et la pousse avec détermination. Il entre seulement mais il sait qu'il est au bon endroit. Le morceau a changé certes mais elle est toujours là, assise au piano. Ses doigts survolent les touches d'ivoire. C'est alors qu'elle lève les yeux et croise son regard. Elle interroge rapidement sa montre et sur son visage apparaît un sourire triste.

Keith approche de la femme venant littéralement de lui faire traverser Brooklyn. Il lui prend la figure et l'embrasse. Il était perdu et elle venait de le sauver sur un air de jazz.


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⏰ Last updated: Feb 20, 2019 ⏰

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