Prologue

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Nous sommes seuls dans l'univers.

Si Aube est en mesure de l'affirmer aujourd'hui, c'est parce qu'elle fait partie de ces milliards d'humains qui ne sont pas nés sur la Terre au cours des vingt-cinq mille dernières années. Les hommes ont eu le temps de parcourir l'espace, pas autant qu'ils l'auraient voulu, mais suffisamment pour visiter des centaines d'exoplanètes favorables au développement de la vie. Et ne trouver de vie sur aucune.

Certains prétendent que ça ne signifie pas qu'il n'existe pas, quelque part au fin fond d'une galaxie, ce que nous continuons d'appeler des extraterrestres, et auquel nous devrions probablement trouver un autre nom, puisque qu'aucun humain ne vit plus sur Terre. Aube n'y croyait pas. L'univers était à la fois trop dense pour qu'on puisse ne pas les trouver, et trop étendu pour qu'on les trouve.

Ce qu'il avait été possible de trouver, et même assez facilement, c'était des planètes habitables. Avec la technologie de l'époque, il avait été facile d'installer des colonies et même de modifier des orbites. Ainsi, les premiers à avoir habité les Hespérides, il y a près de trente millénaires, avaient transformés précisément les trajectoires et les périodes de rotation autour de leur étoile, afin que les trois planètes se trouvent toujours à la même distance les unes des autres, formant un triangle presque équilatéral maintenu par les forces de gravitation des astres.

Ce qui n'avait été cinq milles années durant que des colonies avait commencé à devenir des refuges. Cinquante milliard de personnes tentaient de fuir la Terre, Vénus et Mars, polluées et devenues inhabitables ; on estime que seule la moitié d'entre elles y parvint, et alla s'échouer un peu partout dans la voie lactée.

Une partie d'entre eux, à court de carburant, atterrit sur les trois Hespérides, de petites planètes dépourvues de satellites et riches en minéraux. Elles tenaient leur nom de leur couleur dorée due au dimillogène, un gaz alors inconnu, qui les faisait ressembler à d'immenses pommes dorées. Elles tournaient autour d'une étoile naine rouge qu'on avait appelé Irios. Leur sol était recouvert de poussière et de cristaux multicolores, ainsi que sur une grande partie de leur surface, d'océans si limpide qu'on aurait cru pouvoir marcher dessus comme sur un sol de verre.

Les Hespérides furent baptisées Églée, Érythie et Hespérie. Ces planètes où ne vivaient alors que quelques colons et leur famille, cantonnés dans des bases, se retrouvèrent rapidement surpeuplées. Les scientifiques se mirent à développer tous les échantillons de plantes et animaux ramenés de la Terre. Ils ne furent pas assez rapide. La majorité la plus pauvre de la population, celle qui n'avait pas pu se payer le luxe de rester à l'abri dans les vaisseaux ou les bases, ne survécut pas plus d'un mois. Il en fut de même pour chaque plante installée dans ce sol minéral. Ce fut la première Grande catastrophe.

Du moins jusqu'à ce que les corps amoncelés leur servent d'engrais. Ce qui avait survécut se développa rapidement et évolua jusqu'à devenir la faune et la flore qui tapisse le sol des planètes. Ceux qui n'avaient jamais foulés le sol des Hespérides sortirent alors des vaisseaux et comprirent pourquoi les colons ne quittaient jamais leurs bases.

L'air terrestre, ainsi que les atmosphères artificielles installées sur Vénus et Mars, étaient composées à 78% de diazote, 21% de dioxygène, et environ 1% d'autres gaz. L'air des Hespérides respectait ces proportions, à ceci près qu'il contenait légèrement moins d'azote, remplacé par un faible pourcentage de ce dimillogène, qui formaient parfois des nappes de brouillard doré sur la surfaces des planètes. Une faible exposition n'était pas dangereuse. Mais après un an à tenter de reconstruire leur civilisation, les premiers signes d'empoisonnement se firent sentir. Sans même savoir de quoi, et en l'espace de trois ans, ils périrent tous. Ou presque. Ce fut la Seconde Grande Catastrophe.

Sans explication, certains avaient développés une résistance au dimillogène. Il s'avéra des milliers d'années plus tard qu'il s'agissait d'un gène particulier de l'organisme, une mutation neutre dont personne ne put dater l'ancienneté. Les Hespérides avaient choisis leurs populations. Sur chacune des planètes, il ne resta qu'un petit groupe de survivants au milieu de millions de morts.

Et c'en était fini de la civilisation. Ceux qui restaient n'étaient pas forcément les scientifiques ou les leaders. Il étaient incapable d'utiliser ce qu'il leur restait. Ils avaient tout perdu, plus de technologie, plus de moyens de communication avec les autres Hespérides. Ils étaient livrés à eux-mêmes. Il leur fallut repartir de zéro. Ils enfermèrent leur connaissances dans les vaisseaux cloués au sol, pour les générations futures, et tachèrent de survivre.

Reconstruire une civilisation aussi avancée leur prit des dizaines de milliers d'années. La redécouverte du savoir de leurs ancêtres ne se fit qu'une centaine de siècles plus tard. Rien que le rétablissement d'une communication entre les trois planètes ne put se faire que vingt mille ans après les Catastrophes, lorsqu'Érythie envoya une fusée sur Églée. Étrangement chacun d'eux avaient cherché à retrouver la civilisation terrienne, copiant le plus possible ce qu'ils avaient trouvé dans les vaisseaux et les bases, nostalgique d'une époque dorée qu'ils n'avaient pas connus et qui n'était d'ailleurs pas aussi belle qu'ils le croyaient.

La taille des Hespérides était proche de celle de la lune, et elles étaient recouvertes à 80 % d'eau. Leur population était faible compte tenu de la faible mortalité, près de cent-vingt millions de personnes pour les trois planètes réunies. Les peuples, bien qu'ayant évolués différemment, connaissaient leur histoire sous forme de légendes, et bientôt sous forme de faits prouvés scientifiquement. La période de guerre, probablement inévitable pour la race humaine, fut longue et douloureuse, mais céda sa place à une longue période de paix et de prospérité, qui dure encore. Aujourd'hui, les trois planètes parlent une langue commune et se sont fédérées. Cette période est symbolisée par le train Irios, chef d'œuvre de technologie passée et présente, qui permet des échanges de populations fréquents et très peu coûteux entre les Hespérides.

Plusieurs trains relient chaque jour Églée, Érythie et Hespérie. Munis des toutes dernières technologies de pilotage automatique, ils nécessitent toutefois un chauffeur-mécanicien au départ et à l'arrivée, ou en cas de problème. Aube en fait partie. Les gens qui montent dans son train ne connaissent même pas son visage, et elle ne les connaît pas non plus, d'ailleurs, ça lui est égal, qui elle transporte.

Mais aujourd'hui, Myrtille est montée dans son train. Et d'après Aube, il est impossible qu'on ne lui prête pas attention, à Myrtille.

Les HespéridesWhere stories live. Discover now