II

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Mon professeur d'histoire débitait son cours sans cesser. Il ne semblait pas conscient que plus personne dans la salle ne l'écoutait depuis presque une demie heure. Il devait avoir l'habitude, s'il y avait bien quelque chose qui le précédait, c'était sa réputation en tant que prof le plus barbant du lycée. Appuyée sur mes poings, je luttais contre moi-même pour ne pas m'endormir. À côté de moi, mes deux amis Léo et Rebecca semblaient avoir déjà perdu la bataille. Nous n'étions plus très nombreux à résister dans la salle, mais le professeur n'en tenait même plus compte ; il nous avait clairement fait comprendre que son but était de finir le programme, et que nous étions libres de suivre ou non. Il n'était pas responsable de notre échec, si échec il y a. « Après tout, je suis payé, que vous écoutiez ou non », était l'excuse la plus entendue depuis le début de l'année.

Finalement, je fus sauvée par le gong alors que je dodelinais de la tête en sentant le sommeil m'enserrer, la sonnerie signifiant enfin la fin du cours retentissant dans l'établissement. Je n'eus pas à ranger mes affaires, étant donné que je n'avais même pas pris la peine de les sortir : inutile, même en essayant de prendre des notes, les cafouillis de ce prof restaient un véritable puzzle avec trop de pièces manquantes pour moi. Secouant mes amis par les épaules, je leur assenai une pichenette sur la nuque à chacun, croisant les bras sur ma poitrine en soupirant d'impatience. Rebecca fit mine de relever la tête, replaçant ses lunettes loupe sur le haut de son nez crochu, grommelant légèrement. Léo, lui, ne daigna même pas bouger. Ils avaient toujours été ainsi, à prendre leur temps – un peu trop à mon goût – pour se lever et partir de la salle. Je haïssais ça, moi qui souhaitais toujours être à l'heure – voire en avance – partout.

Lors de la seconde sonnerie, enfin, mes amis se décidèrent à se lever, attrapant leurs tablettes sur lesquelles ils prenaient des notes. Nous marchâmes jusqu'à la sortie du lycée. Je laissai mes ongles glisser sur les quelques casiers collés aux murs. Nous étions dans le couloir des internes, c'était un petit raccourci pour atteindre le portail de la sortie beaucoup plus rapidement. Du coup, les allées étaient bondées de casiers, rendant le chemin sinueux car très étroit. Il y avait tout juste la place pour ouvrir une porte, alors en ouvrir plusieurs en même temps devait relever d'une véritable aventure. Je jetai un énième coup d'œil à ma montre tactile pour vérifier les minutes qui défilaient. Je rouspétai en voyant que cinq minutes s'étaient déjà écoulées.

« Bon sang, pourquoi êtes-vous si relous à marcher à deux à l'heure ? Je râlai, me tournant vers mes amis.
- Et toi, pourquoi es-tu si reloue tout court ? Me répondit simplement Léo.
- Laisse, elle est en pleine crise existentielle depuis qu'elle a fini sa série américaine trop clichée.
- C'est vraiment des problèmes de prolétaires ça. » ricana le jeune homme en croisant ses bras sur son torse recouvert d'un épais t-shirt collector à l'effigie d'un vieux groupe de musique.

Je jetai un regard empli de dédain à Léo. Il était considéré comme un « gosse de riche » dans le lycée. Il faut dire qu'il n'avait aucune honte à exhiber sa richesse aux yeux de tous, style « regardez à quel point vous êtes ridicule par rapport à moi ». Et tandis que Rebecca et moi n'avions pas vraiment choisi d'être recluses, lui s'était volontairement mis à part des gens de notre classe. Il avait toutes les pseudo-qualités nécessaires pour être apprécié : il était beau, assez intelligent, et il avait un sacré style. Mais il ne supportait pas la superficialité, et nous étions malheureusement tombés la classe de Terminal regroupant les personnes les plus superficielles du lycée. En voyant ceci, il s'était mis à débiter un flot d'insultes en se hissant sur un piédestal, argumentant par la richesse. Il s'était rapidement fait détester par la classe, tandis qu'avec Rebecca ce fut cela qui nous fit l'apprécier. Ce n'était qu'un faux prétentieux, qui aimait se faire détester.

Enfin, nous franchîmes le portail du lycée. Un rayon rouge nous balaya rapidement, permettant à l'établissement de vérifier qui allait et venait dans l'enceinte, et par la même occasion surveiller les quelques élèves tentés de sécher les cours. Nous nous arrêtâmes au milieu du trottoir. Rebecca me gratifia d'un check lorsque nos chemins se séparèrent, prétextant devoir rejoindre sa petite amie le plus rapidement possible. Léo eut la gentillesse de m'accompagner jusqu'à mon arrêt, accélérant l'allure en voyant ma nacelle déjà apprêtée. Lorsque le moment fut venu de nous séparer, il m'ébouriffa les cheveux, un sourire en coin. Un couple un peu plus loin nous dévisagea silencieusement. C'est vrai que nous étions un duo assez improbable ; lui, dans sa tenue qui devait coûter plus cher que mon loyer, ses cheveux noirs ébouriffés lui arrivant juste au dessus des épaules, et puis moi, avec ma tenue crottée, et mes cheveux plus courts que lui, châtains clairs. Nous étions deux parfaits opposés, dans un monde qui lui même ne nous ressemblait pas. Tout était formaté à la seconde près et nous n'avions clairement pas intérêts à être à la traîne. Je le suivis des yeux jusqu'au bout de la rue lorsqu'il partit, puis je montai dans mon bus. Je me posai, en soufflant comme à mon habitude, contre les sièges. Jetant un coup d'œil au panneau d'arrêts, je repérai le miens, comptant le nombre de pauses, puis je branchai mes écouteurs Bluetooth et pianotai sur ma montre. Aussitôt, une projection s'alluma au dessus de mon poignet et je fis défiler les nouvelles sur l'écran tactile. Pas grand chose en ce moment, c'était surprenant ce calme constant. Le seul sujet qui revenait en boucle était l'annonce de la saison des ouragans au dessus du Sahara. Rien de bien croustillant.

Lorsque j'arrivai chez moi, je me changeai rapidement : un pantalon de sport, des bandes et coques sur les seins, un débardeur et des chaussettes hautes. Le robot ménager de mon père avait déjà préparé mon sac, y enfouissant mes gants, chaussures, serviette, protège-dent, mitaines et bouteille d'eau. J'enfilai une veste et glissai la sangle de la besace sur mon épaule, sortant rapidement de chez moi. J'avais quelques minutes de marche, pour arriver au club où je pratiquais mon sport préféré depuis désormais sept ans : la MMA. L'excitation mêlée à l'appréhension pulsaient dans mes veines, si bien que malgré moi j'accélérai le rythme jusqu'à voir la façade bleue du club. J'ouvris la porte menant aux vestiaires, remarquant sans surprise que j'étais la dernière arrivée. Je retirai ma veste et mes chaussures. Par la suite je glissai mes doigts dans les mitaines, mes pieds dans les chaussures spéciales pour la boxe, enroulai ma serviette autour de mon cou puis attrapai mon protège-dent, ma bouteille d'eau et mes gants. Je rentrai rapidement dans la salle d'entraînement, faisant un signe à l'union pour ne pas avoir à faire la bise à chacun. Nous n'étions que cinq, venant de quatre villages alentours, et seuls Aly, mon professeur Patxi et moi étions résidents dans le village du club. Seuls cinq courageux qui affrontaient le froid de Novembre trois fois par semaine, pour venir s'entraîner ici. Nous étions bien plus de participants au début, puis l'expérience en a effacé quelques uns, et le froid a fini d'anéantir les moins téméraires.

En passant à côté d'Aly, il me tendit le poing, et je cognai volontiers le miens contre. Aly était un garçon de quelques mois de moins que moi, et il avait cependant un an d'ancienneté de plus que moi dans les arts martiaux. L'écart s'était rapidement creusé entre nous deux dans mes débuts, et bien que je ne m'en faisais pas à l'époque, j'avais rapidement déchanté, m'entraînant toujours plus pour espérer le surpasser. À présent, notre niveau s'équivalait, nous suivions le même parcours et subissions le même entraînement, les résultats se valaient.

Patxi, notre professeur, se mit enfin dos au mur, colla les pieds, et salua la salle avec la main sur le cœur. Nous l'imitâmes, et sans plus tarder nous pûmes commencer l'échauffement.

Paris DévastéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant