Chapitre 2 - LUI

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Un rire d'enfant résonne. Une grosse main s'abat tendrement sur le sommet de mon crâne. Elle ébouriffe mes cheveux. Je suis heureux. Une voix grave prononce : « Sacrebleu mon ptiot ! Tu iras loin ! » La brise marine m'assaille les narines, mon cœur bondit encore de joie, rien ne pourrait me rendre plus fier que ces paroles. Je relève la tête vers mon...mon ? Qui est-ce ? Un noir profond m'enveloppe et l'angoisse s'infiltre dans tout mon être. Je sursaute.

« Aah..aïe... » J'ai mal au crâne bon sang ! Qu'est-ce qui s'est passé ? Ma main rejoint mon front. Mes cheveux sont humides, mon crâne est poisseux. « Beurk... » Mais ce n'est rien comparé à l'odeur qui commence tout juste à s'insinuer dans mes narines. Je m'assieds sur le sol humide. J'essaie de me souvenir de ce qui s'est passé, des raisons pour lesquelles mon réveil est aussi inconfortable, mais aussi, quel est ce vide qui m'habite, cette affreuse sensation d'avoir oublié quelque chose d'essentiel. Rien ne me revient. Une lumière clignote devant mes pieds et attire mon attention. Un néon en fin de vie semble-t-il, étrange choix de l'architecte... Grimaçant, je laisse mes yeux parcourir l'espace autour. La pièce dans laquelle je me trouve est étroite, très étroite comme des...toilettes ? Pouffant nerveusement, je lève la tête et regarde au-dessus de moi. Un siège de WC est accroché au plafond, la lunette se balançant dans le vide. Abasourdi par cette vision, je reste bêtement à fixer l'objet. Si l'affreuse odeur s'explique, le fait qu'il se trouve au plafond pas du tout. Je me retourne et sursaute encore, face à une personne que je ne reconnais pas. Le miroir, étonnamment intact, me renvoie un reflet à l'aspect effrayant, amplifié par la lumière blafarde.

Un jeune homme m'observe. Il a le front et la tempe couverte de sang, des cheveux noirs en bataille, les yeux hagards, un visage fin et pâle. Je porte la main sur la tempe où le sang a commencé à sécher et me tâte la tête. Une douleur m'indique une plaie au-dessus de l'oreille gauche. Un regard sur le petit lavabo encastré dans le mur de plastique au-dessus de moi m'indique que le robinet souillé de taches brunes doit être la cause de ma blessure. Je me sens vaseux. Mes vêtements empestant l'urine et la transpiration mêlées se rappellent à moi. L'envie de vomir l'emporte et le coin sombre, juste derrière moi n'y échappe pas. Je ne peux pas rester ici, il faut que je sorte ! Mes yeux cherchent une échappatoire. La porte évidemment ! Je me lève comme je peux, dérapant dans les divers fluides qui se trouvent sous mes pieds. Ma tête se cogne dans la lunette qui claque sur mon crâne douloureux. « Aaaah merde à la fin ! » Puis je m'accroche à la poignée ronde au-dessus de moi. La porte refuse de s'ouvrir. Paniqué je réalise alors qu'il faut que je réfléchisse à l'envers. Enfin, je tourne dans l'autre sens.

« Qu'est-ce que... » Le soulagement est de courte durée. L'odeur que m'amène cette ouverture n'est pas du tout celle que j'aurais voulue. A côté, les toilettes, c'était le grand luxe. Un haut le cœur me fait à nouveau vomir au moment où un relent de corps en décomposition s'invite dans mes poumons. Qu'est-ce qui s'est passé ? L'angoisse de mon cauchemar m'enveloppe de nouveau. Je m'extirpe comme je peux des latrines et une fois les pieds posés sur le sol, de l'autre côté, j'ose enfin porter un regard sur la nouvelle pièce, envahie par un nuage d'insecte dont le bourdonnement résonne de manière menaçante au milieu du silence qui règne. Le choc est si brutal que j'en tombe à genoux. Un cadavre au visage boursouflé, qui n'a plus rien d'humain gît devant moi. Il porte un costume de matelot. Son corps est gonflé. Bleuit. Mon regard se détache difficilement de cette vision pour évaluer le reste. La salle, sens-dessus dessous, est un enchainement de scènes toutes plus macabres les unes que les autres. Des femmes, des hommes, des enfants aux corps méconnaissables, boursoufflés. Seul un serveur semble avoir été épargné par le gonflement à défaut de l'avoir été par le lustre sur lequel il est empalé.

La scène est irréaliste tant elle est sinistre. Mon cerveau ne veut pas accepter ça comme réalité. Le bourdonnement des mouches semble s'amplifier, me donnant l'impression que mon crâne est pris dans un étau qui se resserre. Mes mains tremblantes rejoignent ma tête. La migraine m'envahit de plus en plus vite. Je suffoque et j'ai l'impression que je vais tourner de l'œil... mais il en est hors de question, pas ici, pas comme ça.

Naufrage (tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant