Chapitre 1.1 - Il n'est nulle gloire sans nom

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An 1309 après l'Engloutissement – Douze ans plus tard

Baigné dans la lueur orangée du soleil, en cette fin d'après-midi d'été, le château ducal de Corance élançait ses hautes tours vers le ciel. Nichée sur un pic de falaises surplombant la rade des Carmides, l'imposante bâtisse de pierre ocre beige, demeure de la famille Carmidor, dominait la cité de Corance.

La riche ville marchande encerclait le port, le plus grand de tout le royaume de Rubisie. Les voiles bigarrées des navires du Sarouha, sultanat du sud des terres émergées, formaient une mosaïque contrastant avec l'azur des hauts-fonds.

Appuyé au garde-fou de l'une des terrasses de son château, le duc Bargald Carmidor ne se lassait pas d'admirer le paysage. Ses traits marqués et son épaisse barbe noire lui conféraient un air fier, caractéristique des membres de sa famille, adouci par les boucles sombres tombant de part et d'autre de son visage. Une tignasse sur laquelle l'âge ne semblait pas avoir de prise, même si les ridules parcourant sa peau hâlée trahissaient ses cinq décennies révolues.

Son regard noir scrutait la rade, captivé par les caraques étrangères qui faisaient sa fortune. Grâce à lui, aucune marchandise sarouhanne n'arrivait sur le continent sans avoir transité par Corance : l'île s'enrichissait un peu plus chaque fois que l'on accostait sur ses rivages.

Et la banque des Carmidor prélevait son dû sur chaque transaction.

Rien d'étonnant alors à ce que l'on tente de s'emparer de ce qu'il avait si durement acquis. De colère, le regard du duc s'étrécit, tandis qu'il ressassait non sans amertume la nouvelle qu'il venait d'apprendre.

Il se retourna pour observer son invité installé dans un fauteuil en rotin.

— Êtes-vous absolument certain de ce que vous avancez ?

Son interlocuteur haussa un sourcil.

— Pardonnez-moi, Visars, soupira Bargald. Vous n'êtes pas venu jusqu'à ma porte avec des spéculations, j'entends bien.

L'intéressé confirma ses dires d'une inclination de la tête. Il n'était pas homme à se fourvoyer sur des sujets d'une telle importance. Ni même sur les plus insignifiants ; en vérité, il n'était pas homme à se fourvoyer du tout. « Le pouvoir et le savoir sont les deux tranchants d'une même épée », telle était la devise de sa famille ; or, Visars Virdemis possédait les trois en grande quantité, ce qui en faisait un ami précieux et un ennemi des plus dangereux.

Ses cheveux presque blancs étaient les seuls témoins de son âge, car une véritable énergie émanait de ses traits impassibles. Une énergie empreinte d'une intelligence pernicieuse, qui transformait son air sévère en un masque derrière lequel pouvaient aisément se dissimuler les pires manigances.

Visars Virdemis était le duc de Lorsis et, par conséquent, le plus proche voisin de même rang que Bargald. Si l'océan Estalien séparait leurs deux duchés, ils n'en demeuraient pas moins des alliés sur un plan géographique.

Leurs fiefs réunis n'étaient pas aussi vastes que les deux autres duchés rubisiens, mais ils étaient sans conteste les plus riches : Lorsis comme Corance bénéficiaient largement du commerce maritime. Ce qui était loin d'être le cas de Sorgone et de Goragna.

Alors, cherchant le remède à leur infortune, les ducs ouestarins tournaient aujourd'hui leurs regards convoiteurs vers l'Est. Une menace d'autant plus grande que l'un d'entre eux n'était autre que Todvis Arvagna, le roi de Rubisie. Un monarque dont la dynastie se mourait, privée d'héritier mâle pour la perpétuer.

Rien n'était plus redoutable qu'un souverain qui craignait pour sa couronne.

Bargald s'assit à côté de Visars et se servit du vin.

Les Carmidor - T1 : Trahir et Survivre [Édité]Where stories live. Discover now