Chapitre 3.2

1.5K 224 397
                                    

Quelques heures plus tard, Philius vint trouver les héritiers et leur précepteur : leur coche les attendait.

Dista contempla une dernière fois l'horizon découpé par les fenêtres du donjon. Sans un son, sans une larme, elle fit ses adieux au fief séculaire de sa famille. Tornos lui dardait des regards torves ponctués de rires crispés.

— Ta catin de mère devait être particulièrement dérangée pour engendrer un fils aussi perturbé, commenta Dista.

Ignorant leur animosité réciproque, Cistote tendit à la princesse sa pelisse blanche. Elle la revêtit et releva la capuche sur ses boucles blondes.

Le chevalier les attendait derrière la porte. Une cervelière recouvrait son crâne roux sans protéger son visage inquiet. À l'ouest, les premières lueurs de l'aube teintaient le ciel enténébré. Il mena les deux Arvagna et leur précepteur par des passages dérobés, évitant les remparts exposés à la vigilance des sentinelles ennemies.

Les soldats s'inclinaient au passage de la princesse, qui les saluait d'un hochement de tête. Dista Arvagna abandonnait son honneur pour qu'ils survivent.

Philius désapprouvait sa décision, elle le sentait. Il évitait son regard et ceux de ses hommes : sa garnison avait failli à sa tâche. Pire que tout, il lui était reconnaissant de sauver leurs vies. De honte, son cœur se serra. Il n'était plus certain d'être digne de la servir.

Le petit groupe sortit du château par une porte de service, une ouverture invisible pour quiconque n'en connaissait pas l'emplacement précis. La princesse frissonna : plus aucun mur d'enceinte ne les protégeait des épées ennemies.

La silhouette sombre du coche se fondait avec celle des montagnes, qui découpaient le bas du ciel colombin en dents acérées. Dista, Tornos et Cistote montèrent dans l'habitacle. Le chevalier grimpa sur le marchepied arrière, alerte. Le cocher fouetta les chevaux. L'attelage se lança à vive allure en direction du nord.

Il entama l'ascension du relief séparant la Rubisie de l'Arcavie.

Ballottée sans ménagement sur la route hérissée de rochers, l'héritière risqua un œil vers le bas. Alors que le coche avalait le chemin escarpé à bride abattue, le précipice se creusait à quelques dizaines de centimètres de ses roues.

Gloussant et ricanant, Tornos ne s'en inquiétait pas le moins du monde. La tête passée au travers de sa fenêtre, il s'amusait de l'air frais qui fouettait son visage blafard.

La peur au ventre, Dista s'efforça à se concentrer sur le paysage si familier du duché qui appartenait à sa famille depuis des temps immémoriaux. Les montagnes s'éveillaient avec le jour naissant : leurs sommets s'embrasaient sous les pâles rayons du soleil levant alors que l'obscurité régnait encore sur leurs flancs rocailleux.

En dépit de la fatigue, ses paupières demeuraient figées par l'angoisse. Elle s'empêchait presque de cligner des yeux, comme si elle craignait que ses ennemis ne profitent de sa fugace cécité pour bondir.

Plusieurs heures s'écoulèrent sans que rien ne vienne la surprendre. Soudain, malgré les grincements du coche et le vacarme du galop des chevaux, le silence de son demi-frère frappa la princesse.

Au même instant, un cavalier surgit de l'ombre.

Philius hurla un ordre au postillon : aussitôt, il fit pleuvoir une myriade de coups de fouet sur le dos des chevaux.

À l'intérieur, Dista s'agrippa de toutes ses forces à la banquette. Tornos ne bougeait pas d'un cil. Cistote le secoua et lui intima de rentrer sa tête à l'abri dans l'habitacle, sans succès.

Les Carmidor - T1 : Trahir et Survivre [Édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant