Petit frère

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"Salut fréro. Ça faisait longtemps. Tellement longtemps en fait, que tu as eu le temps de te marier et d'avoir des enfants. Tu aurais du me le dire, j'aurais bien voulu les rencontrer avant. Il est mignon Tom, on dirait toi au même âge. Tu t'en rappelle ? T'avais une bonne petite tête de rêveur, c'était trop chou... A quoi tu ressemble maintenant ? Ta femme m'a montré des photos, mais j'ai du mal à faire concorder ce James avec celui qui me piquait mes jouets.

Elle est gentille ta femme. Oksanna... D'après ce qu'elle m'a dit, tu l'as rencontré pendant ton voyage en Russie. C'est une grande blonde à la peau pâle... tout le contraire de toi en somme. Vous allez bien ensemble tout les deux, vous vous complétez.

Je me sens tellement mal pour elle... pour eux. J'aimerais leur crier : "Il ne reviendra pas, arrêtez de l'attendre ! Il est parti ! PARTI !". Mais je ne le ferais pas. Je ne suis pas si cruelle.

Je me demande comment maman l'aurait pris. Aurait-elle pleuré ? Se serait-elle dit : "Gardons espoir, tout n'est pas perdu." ? Je ne sais pas. Et je ne le saurais pas. Jamais. Son enterrement avait lieu en juillet dernier, mais moi, je n'était pas là. J'étais ailleurs, trop loin pour que l'information me parvienne dans les temps. Je voudrais le regretter. Mais, étrangement, je ne le peux pas. A quoi ça sert les regrets de toute façon ? A rien à part te gâcher la vie, ce qui ne m'arrangerait en rien. Je n'ai pas le temps pour ça.

J'ai envie de repartir... Ce pays me déprime. Au moindre signe "d'anormalité" de ta part, il te jette dehors en poussant de hauts cris d'indignation. Mais toi, les gens t'acceptaient. Je t'ai toujours envié pour ça. Oui, je sais, la jalousie est un vilain défaut... mais c'était plus fort que moi, te voir briller tel un soleil alors que j'étais cachée dans l'ombre, ça m'exaspérait. C'est peut-être pour ça qu'on s'est éloigné.

Je t'aimais bien moi pourtant...

Je me demande ce que tu as ressentis. T'es-tu senti trahi ? Soulagé ? Cette haine dans tes yeux... Je ne l'oublierai jamais. Ce n'est même pas ma faute pourtant. Je n'étais que spectatrice, alors pourquoi est-ce que je me sens si coupable ? Je n'ai absolument aucune raison de l'être...

Aujourd'hui, c'est ton anniversaire. Tu as 30 ans, félicitation. Je voulais te le dire. C'est quand-même triste que tu ne puisse pas m'entendre, alors je te l'écris. J'espère que ça te fera sourire."

Elle posa son stylo, les larmes aux yeux. Déjà deux ans, deux ans qu'elle vivait avec ça. Deux ans...

Elle plia sa lettre en quatre, puis prit son briquet. Elle l'alluma. Les flammes étaient bleues. C'est beau les flammes, ça se tortille comme un petit animal pris au piège.

Elle mit le feu à son écrit avant de le jeter dans la cheminée. Bientôt, il ne resterait plus que de la fumée et des cendres... Comment pouvait-elle encore s'approcher du feu avec ce qu'elle avait vu ? La plupart des gens en seraient traumatisés.

Elle soupira puis haussa les épaules : peu importe. Ce n'était pas grave. Elle se leva pour sortir de la pièce, faisant craquer ses articulations. Bientôt elle rentrerait chez elle, dans ce pays si lointain qui lui avait donné goût à la vie.

La lumière s'éteint. La porte claque. On ne voit plus que le papier qui se consumme paisiblement. Dans les flammes, l'ombre d'un visage semble pleurer sa disparition.

Je voulais te le dire...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant