D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, Lyana détestait le feu. Elle s'était habituée à celui qui crépitait dans les âtres ou les poêles, mais n'aimait pas s'en approcher. Elle n'avait aucune idée de pourquoi. Elle n'avait aucun souvenir d'un événement impliquant un feu, si ce n'est parfois une apparition fugace, comme ce soir-là. Ce n'était pas logique, sûrement une réminiscence d'un vieux cauchemar, puisqu'elle ne se rappelait que de la survie dans la rue avec son frère, les années de galère, de faim, jusqu'à ce que le Faucon ne la trouve. Mais parfois, la nuit, lorsque les rêves s'approchaient d'elle, elle pouvait entendre une douce voix féminine, sentir un mélange de pin et de musc, comme l'odeur d'un bonheur oublié et disparu.

— Non seulement tu es bornée, mais en plus tu n'écoutes pas, tonna Finn.

— Tu ne m'as pas parlé, riposta-t-elle

— Je ne parle pas seulement d'écouter les mots, mais également d'écouter le monde autour de toi. Tu sais escalader ?

Lyana eut un instant de flottement. L'humeur de Finn s'était apaisée, il était plus calme et avait même parlé avec une certaine douceur. Mais elle se reprit vite, plantant ses yeux dans les siens.

— Oui.

— Alors grimpe.

Lyana détourna les yeux pour observer le bâtiment en face d'elle. Voilé par l'obscurité de la nuit naissante, de nombreuses prises parsemaient les pierres de la demeure. Au vu de sa hauteur, de sa superficie et du nombre de fenêtres, ce devait être un hôtel. La voleuse repéra les bougies allumées et traça mentalement une trajectoire qui lui permettait d'éviter les regards. Enfin, elle vérifia que personne dans la rue n'était là pour la voir.

Alors seulement elle saisit la première prise et s'éleva, sous le regard inquisiteur de Finn. Elle le sentait intéressé, observateur, si éloigné de l'homme en colère qu'il était quelques minutes plus tôt qu'elle se demanda si ce n'était pas quelqu'un d'autre qui l'accompagnait. Cette pensée la quitta bien vite, au profit des autres sensations. Plus elle s'élevait, plus elle sentait l'amour, la frustration, les espoirs et la détresse des clients de l'hôtel, mais aussi la pierre rugueuse sous ses doigts, l'air frais qui balayait la ville, charriant des doigts brumeux, et les lointains bruits d'une fête provenant de la Haute-ville. Une certaine mélancolie la happa, la projetant dans un monde nuageux de festivités, de danses, de robes colorées et de poupées en porcelaines. Des choses qu'elle n'avait jamais vécues et qui, pourtant, lui donnaient envie de pleurer. Comme si elle avait connu les beignets au chocolat et l'odeur d'un thé épicé, les lits moelleux et les couettes en plumes, la douceur d'une main familière caressant sa joue et les histoires de héros légendaires racontées par une voix grave et profonde.

Lorsque Lyana arriva au sommet de la bâtisse, une tristesse profonde l'avait saisie, sans qu'elle puisse se l'expliquer. À l'autre bout du toit se tenait Finn, les mains sur les hanches et le regard au lointain. Une certaine admiration s'empara de la voleuse : il était arrivé avant elle, ce qui témoignait de sa dextérité exceptionnelle. Avec précaution, elle s'approcha de lui et se posta à ses côtés. Il était lui aussi triste mais déterminé. Un peu effrayé également. Pourtant, ses émotions s'étaient enfin apaisées.

— Tu es une rêveuse, Lyana, commença-t-il avec une voix étrange, douce et sévère à la fois. Je ne peux pas te laisser te perdre dans tes pensées comme ça. Dans le monde des tire-bourses, ça n'a pas d'importance. Mais dans celui des maître-voleurs, la concentration est primordiale. Te perdre dans tes pensées, c'est perdre ta vie. Tu ne t'en rends pas compte maintenant, et peut-être que ce ne sera pas un problème au début, mais il faut être vigilant. Tout le temps. Tu n'as pas le droit à l'erreur.

Il se tourna vers Lyana et plongea son regard océan dans le sien. Un instant, en sentant sa détresse et ses regrets, elle crut qu'il allait pleurer. Elle dû se faire violence pour ne pas elle-même céder à un chagrin qui n'était pas le sien.

La Guilde Des OmbresWhere stories live. Discover now