Premier Pétale

59 5 2
                                    

  A son entrée, tous les regards se posaient sur lui. Au collège, tout le monde le connaissait. Daniel Wayne, élève de troisième, était un enfant à problèmes. Il séchait les cours, se battait, répondait aux professeurs, et ne travaillait qu'à peine. Personne ne l'approchait, sauf ceux qui venaient le voir uniquement pour rire de lui. Moi non plus, je ne l'approchais pas, à l'époque. Je devais tenir ma réputation intacte, si je ne voulais pas avoir des ennuis comme lui. Moi, Judith Gardner, j'étais dans un groupe de filles populaires. Comme je venais d'arriver dans cet établissement, personne ne me connaissait et pouvait lancer des brimades contre moi dû à ce que j'avais pu faire les années précédentes. Alors, j'avais vu l'occasion de m'intégrer plus rapidement en fréquentant les populaires. 

  Ce jour-là, c'était la rentrée après les vacances d'Halloween, et il commençait à faire froid, depuis quelques jours. J'arrivai devant le portail du collège quand on m'interpella.

"Judith ! Attends-moi !"

C'était Amélie. Elle était toujours joyeuse et pleine d'énergie, ainsi que très enthousiaste. Sauf en cours de mathématiques. Elle arrivait à s'endormir tout le temps.

"Salut, Amélie. Tu n'es pas en retard, pour une fois !
- Rah, ne te moque pas de moi... Ce n'est pas ma faute si ce n'est pas tous les jours, qu'on a tennis en EPS !"

Oui, ce jour-là, nous allions commencer à faire du tennis pendant le cours d'EPS. Amélie adorait ce sport. Nous entrâmes dans la cour et rejoignîmes Esma et Mélanie. Elles étaient arrivées plus tôt, vu qu'elles prenaient le bus pour venir en cours.

"Eh ben, vous voilà enfin ! Vous avez pris votre temps...
- La prochaine fois, on ne vous attendra pas !"

Elles étaient assez impatientes, comme filles. Par certains élèves, elles étaient considérées comme des pestes, mais c'était le plus souvent des élèves "non-populaires". Je pensais la même chose, mais le dire... J'en aurais payé le prix. Ce n'était pas par plaisir que je les fréquentais, c'était pour que je ne revive pas une année comme les trois précédentes. A l'époque, j'étais une menteuse.

  Après nos cours matinaux, nous étions allées manger à la cantine, toutes les quatre. Nous mangions tranquillement quand nous entendîmes un verre se briser. C'était un garçon d'une autre classe de troisième, Marco. Il venait de verser le contenu de son verre sur la tête de Daniel avant de le jeter à terre. Il n'avait pas dit un mot et se laissait totalement faire, même quand Marco le prit par le col pour lui crier dessus. C'est à ce moment que j'ai pu entendre et comprendre ce qu'il se passait.

"Tu viens de défoncer mes Nike. Tu vas m'les repayer, j'espère."

Mélanie soupira d'agacement, agitant sa fourchette en l'air.

"Les garçons sont vraiment fatigants, on ne peut plus manger calmement !
- Quand est-ce qu'un pion vient pour les calmer, sérieux ? J'ai failli recracher mon eau à cause d'eux !"

Elle et Esma étaient vraiment complémentaires. L'une complétait les dires de l'autre, à chaque fois. Une surveillante est finalement venue avant que cette petite dispute entre adolescents ne dégénère. Je finis alors de manger avec les filles et nous repartîmes en cours.

  A la fin de la journée, Mélanie et Esma prirent leur bus pour rentrer et les parents d'Amélie vinrent la chercher, comme chaque jour. Je rentrais toujours seule, après les cours. Mais ce jour-là, c'était différent. J'aperçus Daniel, l'élève à problèmes, passer à côté du portail avec un sac en plastique à la main. J'étais de nature curieuse, alors j'allai le voir pour lui demander ce que c'était. De plus, j'avais cru voir une petite pelle dépasser, une que l'on utilise pour retourner la terre lorsqu'on jardine.

"Eh, Wayne. Qu'est-ce ?"

Il ne me répondit pas. Je n'en attendais pas plus de lui. J'haussai donc les épaules et commençai à partir, mais il m'arrêta.

"Suis-moi."

Je me retournai brusquement, sans comprendre. Je pensais qu'il m'enverrait balader, comme avec presque tout le monde. Il partit, et je le suivis. Le chemin que nous prenions était principalement constitué de zigs-zags et de chemins m'étant tous inconnus. Au bout de dix minutes, nous arrivâmes dans un terrain vague entouré d'une barrière de bois. Il y avait une cabane à outils. Il s'y trouvait aussi un jardin entièrement fait de fleurs, toutes plus magnifiques les unes que les autres. Tandis que je restais étonnée devant ce décor printanier, Daniel s'assit près d'un espace non-exploité et sortit ses affaires de jardinage du sac. Comme je le pensais, il y avait tout ce qu'il fallait pour un jardinier en herbe. Il faisait ses petites affaires, et moi, je regardais chaque fleur. Il y avait de tout ; tulipe, roses, camomille, hortensia... Je posai ensuite mon regard sur lui. Il avait l'air très concentré dans son travail. Je compris aussi que ce lieu devait être une sorte de secret important pour lui, alors je me permis de prendre la parole.

"Je n'en parlerai à personne, tu n'as pas à t'inquiéter.
- Passe-moi ce sachet de graines."

Il avait l'air d'avoir totalement ignoré ce que j'avais dis. Je pris le sachet de graines qu'il pointait du doigt et lui donnai. Il les planta avant de recouvrir de terre et d'aller remplir son arrosoir avec le robinet de jardin près de la cabane.

"Tu viens souvent ici ?
- Chaque jour après les cours."

Il donnait des réponses courtes et sèches. Mais d'un côté, cela m'amusait de parler avec lui. De plus, il m'intéressait. Moi-même, j'étais harcelée avant mon entrée en troisième. Je savais ce qu'il vivait.

  Nous restâmes encore un bon moment dans ce jardin secret. Il faisait déjà nuit, mais il n'était que dix-huit heures. Je devais rentrer.

"Je vais rentrer. A demain, Wayne.
- Mmh."

Il se leva et me raccompagna devant le collège. Je partis ensuite chez moi.

  Une fois rentrée, je me suis précipitée dans ma chambre. Ma mère était occupée avec un invité, un de ses innombrables petits amis. Je fermai la porte et soulevai mon oreiller, ma réserve de petits trucs à grignoter. Je pris un paquet de chips miniature et m'installai devant mon ordinateur pour écrire. Je souhaites faire des études de littérature, afin de devenir écrivaine. Mais ce n'était pas le meilleur métier pour me nourrir seule... Ma mère, elle, insistait pour que je fasse des études de médecine. Tout ce qui différait de ce que je voulais réellement.

  A l'heure du dîner, ma mère avait l'air fatiguée. Je lui demandai donc ce qui n'allait pas.

"Qu'y a-t-il, maman ?
- Rien. Je me dis juste que tu es vraiment chiante à en mourir, comme fille."

Je n'insistai pas davantage. Essayer de commencer une conversation sans point négatif avec ma mère, c'était comme tenter de nager dans du béton sec. Je finis mon assiette et la lavai avant de remonter dans ma chambre. Je n'ai pas dit un mot de plus à ma mère. C'était peine perdue.

  Le lendemain, je suis arrivée avant mes amies, même Mélanie et Esma, pour une fois. Mais bien évidemment, ces deux dernières ont fait leurs mauvaises joueuses. Amélie, quant à elle, était plutôt amusée.

 A la fin de la journée, comme pour le jour précédent, je suis allée voir Daniel au portail, quand tout le monde était parti. Il n'a pas dit un mot et je l'ai suivi jusqu'à son petit jardin secret pour l'aider à s'en occuper. De cette manière, j'arrivais à échapper à ma mère pendant deux bonnes heures. C'était un lieu assez reposant et calme. C'était ma seule raison, pour m'y rendre.

"Pas comme ça, Gardner. Tu le fais mal.
- Je n'ai jamais jardiné, en même temps...
- Alors regarde comment je fais et apprends."

Il m'a alors montré comment planter correctement des pots de façon à ce que la fleur continue de vivre sans faner. C'était plutôt amusant de le voir agir comme un professeur, lui qui les détestait tant.

"Eh, Wayne.
- Mmh ?
- Pourrai-je revenir ici tous les jours, avec toi ? Tu pourras m'apprendre plus de choses qu'en cours."

Le Chant des FleursWhere stories live. Discover now