Préambule

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15 ans plus tôt...

La ruelle sombre et insalubre, entourée de vieux immeubles aux briques rouges délabrées empestait les odeurs nauséabondes des ordures d'un restaurant douteux. Le bruit assourdissant des sirènes de voitures de police résonnait comme un écho lointain. Le quartier n'était clairement pas l'endroit rêvé pour un petit garçon à la veille de Noël. Qui plus est, un petit garçon qui fêtait ses six ans, ce même jour. Il était encore si jeune. Et pourtant l'horreur qui allait le frapper le marquerait à jamais...

Sa petite main serrait celle de sa mère dont les pas accéléraient. Il s'accrochait à elle pour suivre son rythme. Il s'accrochait à elle, encore plus fort, comme à une bouée de sauvetage. Plus l'angoisse de la jeune femme montait, plus l'affolement de l'enfant grandissait. Il ignorait pourquoi, ce soir-là, sa mère, habituellement si sûre d'elle, se comportait comme un jeune animal apeuré.
Tu restes bien sagement là, mon chat, ok, supplia-t-elle le petit garçon en le cachant derrière un conteneur à poubelles. Tiens, je te la confie. Tu te souviens de ce que je t'ai appris, hein ? dit-elle en lui donnant la pierre précieuse.
L'enfant secoua la tête pour acquiescer, les yeux grands ouverts, serrant au creux de son petit poing le galet d'un blanc nacré éclatant et opalescent. Oui, il se souvenait de tout mais il aurait aimé ne jamais devoir s'en rappeler. La peur le terrassait.
Je t'aime, mon chat, souffla-elle la voix fragile et brisée en lui caressant la joue. Le garçonnet vit pour la première fois de sa vie, une larme couler au coin des beaux yeux bleus de sa maman. Puis, elle se leva et s'éloigna. Sa silhouette apparaissait encore au bout de la ruelle, telle une ombre flottante. Seuls quelques rayons de lune parvenaient à l'éclairer mais on pouvait y voir les reflets sur sa chevelure caramel. Son fils était son portrait craché.

Bien vite, un corps grand et élancé surgit de nulle part vêtu de rangers et d'une longue veste en cuir noir. Une capuche sombre cachait son visage. L'inconnu se rapprocha dangereusement de la jeune femme et le combat débuta.

Tapi dans la pénombre, recroquevillé derrière le bloc de métal puant, le pauvre môme était terrifié. Mais fasciné, aussi. Le corps de sa mère dégageait la même grâce que lorsque que son fils l'observait aux entraînements, discrètement à travers le trou de la serrure. Il n'avait pas le droit de le faire et pourtant il ne pouvait pas s'en empêcher parce qu'il l'admirait de tout son être. C'était ça, la vie de sa mère. Elle était une héroïne. Son héroïne. Elle se battait contre les méchants pour protéger les gentils. C'est ce qu'elle lui racontait. Ce soir, le petit garçon la voyait en action, pour de vrai.

Mais la noirceur de son opposant faisait froid dans le dos. On aurait dit un messager des ténèbres dégageant une telle force et une telle puissance que chaque mouvement semblait être contrôlé. Le sombre inconnu parvenait à déstabiliser la combattante. Les coups volaient ; coups de pieds, coups de poings, coup de tête, tel un enchaînement d'une danse violente et macabre. La jeune maman se défendait avec hargne. Le sang gicla sur le coin de sa lèvre. Elle repoussa l'homme comme elle pouvait, luttant avec toute la force qu'elle possédait, mais il l'a projeta contre le mur de briques, et son corps s'effondra au sol.

De là où le garçonnet se situait, il ne voyait que les jambes de sa mère allongée sur le bitume froid. Il pouvait encore aussi voir l'agresseur, droit et fier, s'avançant lentement vers sa proie, tel un prédateur. Un sourire mauvais s'afficha sur ses lèvres. Ses yeux étaient encore cachés par la capuche. Mais sa langue lécha sadiquement ses dents de devant. Ce fut à ce moment-là que l'enfant les vit : des canines bien trop aiguisées.
Elle est cachée dans un endroit sacré, là où jamais tu ne pourras la retrouver, put entendre le petit garçon de la voix de sa mère. Arrar nectum rachtmalfic, optula est, continua-t-elle.
La bête se pencha vers la jeune femme qui maugréait ces quelques mots dans une langue ancestrale. Le son de sa voix, habituellement si doux, s'était transformé en un cri de dégoût, un cri de colère, un cri de haine...

Soudain, le bruit d'un craquement rompit les paroles de la chasseuse qui ne put finir son incantation, puis ce fut le silence.

L'homme en noir fouilla dans les poches de la mère comme un vautour dépouillait vulgairement sa proie. Il se releva, un sourire malsain et victorieux sur le bord des lèvres, tenant une vieille page de papier gravée d'inscriptions dans un dialecte très ancien. Il avait enfin mis la main sur cette magie perfide et il la détruisit de la flamme de son briquet. Jamais plus, ces satanés sorciers ne devaient exciter.

Il passa devant le petit garçon qui luttait de toute ses forces pour étouffer ses larmes et sa peur. Caché au plus profond de la nuit noire, le monstre ne put repérer l'enfant mais ce dernier garderait le souvenir indélébile de la marque que l'assassin de sa mère portait sur sa main : une croix noire tatouée.

Le petit garçon reteint son souffle et attendit que le danger soit écarté. Comme sa mère le lui avait enseigné. Il compta les secondes, les minutes, jusqu'à ce qu'il estime que la voie soit libre. Il sortit de sa cachette et s'empressa de retrouver sa si jolie maman. Il avait beau la secouer, l'appeler, crier, elle ne réagissait plus.

L'enfant avait compris. Elle était partie.

Il tenait toujours dans sa petite main l'objet brillant. Celui que l'on devait protéger coûte que coûte. Mais pourquoi cette petite pierre serait-elle plus importante que sa maman ?

Du haut de ses six ans, il savait déjà beaucoup de choses et la mort en faisait malheureusement partie. Il grandissait dans un environnement bien trop sombre pour un si petit garçon mais elle lui avait enseigné. C'était son destin de chasseuse. Et aussi le sien.

L'enfant fit ce qu'elle lui avait appris, au cas où ce jour arriverait. Parce qu'elle savait. Il prit le téléphone dans la poche intérieure du blouson de sa mère, les mains tremblantes. Il pleurait, son petit cœur se brisait, mais il se rappelait qu'il devait être fort. Alors il essuya avec les manches de son manteau souillé toutes les larmes qui coulaient le long de ses joues. Il ouvrit le clapet du téléphone et appuya sur les touches pour composer le numéro qu'il connaissait par cœur. La voix de son oncle résonna et l'enfant n'eut qu'un mot à prononcer pour que son interlocuteur comprenne.

Ce soir-là, le petit Louis vit sa mère mourir. Ce soir-là, il entendit le bruit du cou de sa délicieuse maman succomber aux mains de cette ombre noire qui hantait encore chacune de ses nuits. Ce soir-là, il cacha la pierre dans un endroit sacré, comme sa maman l'avait dit. Et depuis quinze ans, le jeune garçon s'était promis de retrouver le monstre qui l'avait tué pour pouvoir enfin la venger...

Blood MoonWhere stories live. Discover now