Je t'aime, maman.

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Tu nous a abandonné. Tu nous a laissé de côté. Et tout ça pour cet homme qui voulait se prétendre pour notre père ? TU NOUS AS ABANDONNÉ ! Tu es partie... Tu nous as laissé là-bas... Dans cet orphelinat... Je t'en veux. Nous t'en voulons. Mais en même temps... Ne serait-ce pas mieux ainsi ?


Je me souviens des bouteilles d'alcool cachées sous l'évier, dans les toilettes et sous le lit. Mélinda m'en parlait chaque jour. Tu lui manques, tu sais ? Malgré les coups et les pleurs. Tu lui manques tellement. Moi ? Je n'ai pas le temps de ressentir ce manque. Je me dois de rester fort pour Mélinda. Elle a besoin de moi. Elle croit que tu reviendras. Qu'un jour, tu viendras nous rechercher. Je n'ai pas osé lui dire la vérité. L'espoir, c'est tout ce qui lui reste. Ici, il n'y a rien d'autre qui puisse lui redonner le sourire.


Je me plais à écrire sur ces bouts de post-it. Mme Stauïk ne comprend pas. Mais ça n'a pas l'air de la déranger. Tant que je continue à venir dans son bureau une fois par semaine, elle ne se plaindra jamais de moi. Et n'embêtera jamais Mélinda. Elle me l'a promis. J'espère qu'elle tiendra parole. Ce n'est pas comme si elle était obligée.


Mélinda a encore rêvé de toi cette nuit. Encore maintenant, alors que nous sommes le soir, elle alterne entre les rires et les larmes en y repensant. Elle n'a pas voulu noter son rêve sur mes post-it. Elle a dit qu'elle n'en avait pas besoin. Je l'envie.


Je commence de plus en plus à avoir froid. Ici, nous sommes environ une cinquantaine à nous les geler. Sauf Mélinda. Je ne sais pas comment elle fait. Elle ne semble pas touchée par le froid. Je l'envie de nouveau. Elle a cette capacité à passer outre les choses. Je l'envie tellement.


Aujourd'hui, Mme Stauïk m'a offert un paquet de feuilles pour remplacer mes post-it. Elle a dit que j'avais été très gentil ces derniers temps, et qu'elle était fier de moi. « Tu es mon petit préféré », qu'elle a dit. Je ne sais pas si c'est une bonne ou mauvaise chose. Tant qu'elle ne touche pas à Mélinda, on va dire que j'en suis content. D'ailleurs, elle ne sait rien de ces visites hebdomadaires dans le bureau de Mme Stauïk. De toute façon, elle ne me pose pas beaucoup de questions. Elle a une grande confiance en moi. Je regrette de ne pas avoir le courage de lui dire la vérité. Moi qui voulait être fort pour elle, finalement, je ne sais pas si je suis à la hauteur. Je ne voudrais pas qu'elle m'en veuille de lui avoir menti.


Franklin a offert un morceau de son gâteau à Mélinda. Je crois qu'il l'aime bien. Cela fait plusieurs fois qu'il essaye d'attirer son attention. Mais elle ne le regarde même pas. Je suis triste pour lui. Elle n'a que ton image en tête, tu sais. Parfois, elle me parle de toi. De ton sourire. De tes yeux rieurs. Je ne me souviens pas de cet aspect de toi. Quand as-tu ri avec nous pour la dernière fois ?J'envie Mélinda de se souvenir de tout ceci. Moi-même ne me souviens de rien. Tout n'est que brouillard et fumée. D'ailleurs, tout est parti en fumée le jour où tu nous as quitté pour lui. Je l'envie, tu sais. Peut-être que tu a fait le bon choix. Je ne sais pas. En tout cas, je suis bien content d'être encore avec Mélinda. Elle a besoin de moi. J'aime penser qu'elle aime ma présence autant que j'aime la sienne. Elle a toujours été plus gentille avec moi que toi.


Des parents sont venus chercher deux enfants aujourd'hui. Un petit blond tout maigre et une petite fille au regard triste. Je l'ai regardé passer, tenant la main de sa nouvelle maman. Elle n'avait pas l'air très heureuse de partir d'ici. Ou alors elle aussi attendait la venue de sa vraie mère. Je ne sais pas. En tout cas, je suis bien content de pouvoir rester ici avec Mélinda. Mme Stauïk m'a assuré qu'on resterait ensemble tant que je restais sage avec elle. J'en suis content. Elle est gentille, Mme Stauïk. Je l'aime bien. Mais pas autant que maman. J'espère qu'elle ne m'en voudra pas d'avoir dit ça. Mais personne ne pourra remplacer maman. Du coup, je ne sais pas comment on fera avec notre nouvelle maman si un jour on s'en va d'ici. Ou alors peut-être que tu vas vraiment venir nous chercher un jour. Je ne sais pas. Mais je l'espère beaucoup.


Le soir j'aime bien malgré le froid ouvrir la fenêtre de la chambre pour regarde le ciel à travers les barreaux. J'imagine que toi tu ne dois pas y faire attention. Peut-être préfères-tu regarder dans ses yeux à lui. Moi je préfère regarder dehors ou regarder Mélinda. Elle est belle, Mélinda. J'aimerai bien la voir libre comme les étoiles dehors. Mais ce n'est pas possible. C'est dommage. Mais à cause de lui avec qui tu es partie, Elle sera jamais libre. Sauf si tu viens nous chercher, maman. Viens nous chercher. Je t'en supplie. Tu nous manques.


Aujourd'hui pour la première fois, Mme Stauïk a demandé à voir Mélinda et aussi Franklin dans bureau. Elle m'a dit que c'était juste pour leur parler de quelque chose en privé. Que c'était un secret. Je ne sais pas si je dois la croire. Quand Mélinda est revenue, j'ai vu qu'elle avait pleuré. Elle est restée longtemps silencieuse. Elle m'a dit qu'elle n'avait pas le droit de dire ce qu'il s'était passé parce que Mme Stauïk leur avait dit que c'était un secret. Je ne sais pas si j'ai envie de savoir. Franklin n'avait pas l'air bien non plus. Je ne sais pas quoi faire. Ce n'est pas comme si je pouvais faire quelque chose de toute façon. Moi, je veux juste protéger Mélinda. Mais je ne sais pas si je suis assez fort pour le faire. Qu'est-ce que tu en penses, maman ?


Je m'inquiètes pour Mélinda. Je devrais peut-être lui dire que maman ne reviendra pas. Franklin n'est pas venu lui donner une part de son dessert aujourd'hui. D'ailleurs, je ne l'ai pas vu du tout aujourd'hui. Peut-être qu'il a eu une nouvelle maman. Je ne sais pas. Moi, je veux juste rester avec Mélinda. En tout cas, aujourd'hui, on a eu de l'eau chaude pour se laver. Ça faisait longtemps. Mélinda a même souri. J'aime bien la voir sourire, surtout que c'est de plus en plus rare. Moi, j'ai pris l'habitude des douches glacées, du coup ça ne m'a pas fait grand chose. Paul pense que c'est parce que Franklin est parti qu'on a de l'eau chaude. Il est un peu bête, Paul. Mais il est gentil.


Mme Stauïk est venue éteindre les lumières elles-mêmes des deux salles de coucher. C'est étrange, car d'habitude, c'est toujours Sorine qui le fait. Sorine, c'est la vieille dame qui s'occupe de nous. Elle nous lève, elle nous surveille, elle nous emmène à la douche ou au coucher, elle nous emmène manger, et elle nous instruit. Ce n'est pas une très bonne prof, mais elle se débrouille comme elle peut. La plupart du temps, elle nous lit des livres. Mr Camus, Mr Hugo et Mr Verlaine sont super forts pour écrire des histoires et des poèmes. Moi aussi j'aimerai bien écrire des poèmes à Mélinda, mais je ne sais pas en faire, et je ne sais pas si elle en a envie. Avant de partir, Mme Stauïk a dit que Sorine était partie. Je ne savais pas que Sorine pouvait aussi avoir une nouvelle maman. Paul pense que du coup, on aura encore de l'eau chaude demain parce qu'elle était partie. Il est bête, Paul. Mais il est gentil.


On a pris des douches froides aujourd'hui. Ça fait longtemps que je ne suis pas allé dans le bureau de Mme Stauïk. Je me demande pourquoi. Peut-être que je n'ai pas été sage. J'espère que je nel'ai pas déçu. Je ne veux pas décevoir Mme Stauïk. Sinon, elle va m'envoyer à Mr le jardinier. Je ne veux pas aller voir Mr le jardinier. Je ne veux pas que Mélinda y aille non plus. Je vais essayer de redevenir sage pour Mme Stauïk. Aujourd'hui, elle a emmené Paul cette-fois. C'est la première fois qu'il y est allé. Quand il est revenu, il était tout rouge et n'a rien voulu dire aux autres. Il est parti se coucher sans un bruit, alors que d'habitude il est toujours le dernier à devenir silencieux. Je me demande ce qui s'est passé pour lui. J'espère qu'il a été sage.



 Je me rappelle de la couleur de cheveux de celui qui t'a emmené loin de nous. Il était roux. Joachim dit que les roux n'ont pas d'âme. Il sait plein de choses, Joachim. Après, je ne sais pas si c'est vrai.Mais il est très intelligent. C'est le deuxième préféré de Mme Stauïk. Joachim a les yeux gris et les cheveux blonds. Il a des cilstrès épais. Ça lui fait une grosse tête de bébé. Des fois, Mélinda et lui se parlent pendant des heures. Je ne suis pas jaloux.J'ai confiance en Mélinda et puis ce n'est pas à lui de la protéger. C'est moi qui doit le faire. Même s'il est plus intelligent que moi, moi je suis plus fort que lui. Mélinda l'a dit, et je crois Mélinda. Si seulement maman pouvait se dépêcher devenir nous chercher, ce serait bien. En attendant, je ne suis toujours pas retourné dans le bureau de Mme Stauïk. Je m'ennuie. 

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⏰ Last updated: Oct 25, 2018 ⏰

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