L E T T R E

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Blodwen O'Connor
Appartement 10, Five Points
New York.

Enric O'Connor
O'Connor Farm
Dublin.

27 Décembre 1846

Cher Frère,

    Les vieillards toussaient à s'en déchirer la gorge, les enfants braillaient et leurs mères s'époumonnaient en vain à essayer de les faire taire, et les pères se disputaient les quelques coins avantageux du bateau. Les malades mourraient sur place et à l'arrivée nous les avons laissés là, recroquevillés sur leur dernier souffle. Nous sommes descendu en troupeau nauséabonde et bruyant. Seule et bousculée par le flux de corps anonymes, l'appréhension et les larmes montaient dans ma gorge à chaque nouveau pas sur Elis Island.

  J'arrivais à une immense file ou des gens qui étaient eux aussi descendu du bateau patientaient. À en écouter les murmures et les rumeurs qui papillonaient gravement dans le tas, ce qui nous attendais allait jouer sur notre destin en Amérique. Longtemps, nous sommes restés là, baignés dans le froid et les insultes des natifs qui nous fixaient avec dédain et méfiance. Certains d'entre eux nous lançaient des pierres, nous, tas d'inconnus qui leur faisait face sans même avoir d'autres options.
À l'avant de la file, des hommes vêtues de costumes et de grands chapeaux nous posaient des questions, agrémentant leur phrases joliement tournées de sourires doucereux avant de nous lâcher, de nous lâcher en enfer.

  J'avais intégré un gang de Five Points et j'habitais dans un appartement minuscule, dévoré par les mites. Mon immeuble comme tout ceux de ce bruyant capharnaüm bidonvillier ne connaissait rien à la notion d'intimité. J'entendais mes voisins se disputer violemment et les pleurs désespèrés de leurs enfants deboussolés. J'entendais les batailles incessantes entre Natifs et Immigrés. Mais mes pires moments ne fut pas le jour où ce béni soleil éclairait nos pauvres taudis. Non, car chaque soir, ma raison combattait ardemment mon coeur pour que j'aille "travailler". Mes clients n'étaient pourtant pas rares, mais ils étaient tous désespérés, noyant leur désespoir et leurs déboirs dans l'obscurité de la prostitution. Faute à ces hommes, mes nuits horrifiés suppliaient un dieu auquel elles ne croyaient même plus l'arrêt de leurs étoiles et Lunes. Mes nuits pleuraient silencieusement et l'indigo de leur vaste ciel recouvraient peu à peu mon corps, roué de coups passionels, de coups désespèrés, de coups tristes, des coups de colères libérées.

  Danny, j'attends encore, et j'attendrais toujours, avec impatience le jour où je pourrais te resserrer dans mes bras, me réimpregner de ton odeur et recompter tes taches de rousseurs.

                   Je t'embrasse, Blodwen.

From Blodwen to EnricWhere stories live. Discover now