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Reste concentré. Ne panique pas. Tout va bien se passer. Tu as déjà fait ce trajet une bonne centaine de fois. La route n'a pas changé. Tu la connais par cœur. Il n'y a rien à craindre. Il faut que tu te détendes. Tu sais conduire. Tu n'as pas eu ton permis dans une pochette surprise. Allez Timéo, ça va le faire. Tu n'es pas une poule mouillée. Tu as déjà fait plus de la moitié du trajet de toute façon, tu ne vas pas faire demi-tour maintenant.

Les mains serrées sur mon volant, je respire profondément pour me calmer. Mon cœur bat la chamade, en rythme avec Thunderstruck de AC/DC que déversent les enceintes de ma voiture. Mon ventre est une grosse boule de stress et je m'en veux d'être aussi froussard. Je ne sais même pas vraiment de quoi j'ai peur. Mis-à-part du fait que je suis loin d'être un as du volant et qu'un dimanche soir, en plein mois d'octobre, à 23 heures, il fait nuit noire. Un animal peut surgir de la forêt que je longe. Un chauffard sans phares peut surgir en face de moi. Un inconnu peut être dans le noir au milieu de la route. Et, tu peux simplement être un grand paranoïaque, Timéo !

Après avoir augmenté le son pour noyer mes pensées, je me concentre sur la route. De l'index, je tape le rythme sur le volant et me lance dans un léger playback. AC/DC a toujours eu le don de me changer les idées. Thunderstruck, c'est le genre de musique qui s'insinue dans ton cerveau à l'aide de la puissance vocale de Brian, des chœurs « Thunder » buglés par Malcolm et Cliff, de la batterie vibrante de Chris et, surtout, des riffs d'Angus. Une tuerie ce titre, même si c'est sûrement le dernier vrai hit du groupe.

En sortant d'un virage, mon regard s'accroche à la lune qui s'élève au-dessus de la cime des sapins. Une belle lune, bien ronde, juste légèrement voilée par quelque nuage. Sa lumière blanche éclaire la forêt et teinte le ciel d'une lueur bleutée. C'est totalement le genre de lune flippante qu'on retrouve en début de film d'horreur, ou en plan fixe avant la transformation d'un loup-garou.

Alors que je lui lance des petits regards en grimaçant, Brian finit le morceau de sa voix érayée, puis les riffs d'Angus reviennent, jusqu'à se taire peu à peu. Un frisson parcourt alors mon corps. L'atmosphère a changé, à moins qu'en arrêtant le morceau d'AC/DC, ma radio n'ait fait que revenir mes peurs irrationnelles de plus belles. J'en sais foutre rien, mais c'est comme si soudain, j'avais froid. Pourquoi le morceau suivant ne se lance pas pour venir m'aider ?

À contre cœur, je lâche le volant d'une main et lance un bref coup d'œil à mon autoradio, pour localiser le bouton « suivant ». J'appuie une fois. Rien ne se passe. Mon cœur accélère peu à peu. À nouveau, je lâche la route des yeux quelques secondes et appuie. Le silence me répond. Sentant ma main se mettre à trembler, je serre le poing et soupire. Détends-toi, Timéo. C'est une vieille 206, le lecteur a juste du mal à lire le CD. Ça t'est déjà arrivé et ça t'arrivera encore, pas de quoi en faire une crise cardiaque.

Cette fois, je quitte la route des yeux plusieurs fois d'affiler pour trouver le bouton « Eject ». Dans la pénombre, je mets bien cinq bonnes minutes à le trouver et manque trois fois de quitter la route à cause de mon inattention. Quand mon doigt effleure enfin le graal, un son étrange – une sorte de bourdonnement mélangé à une sorte de claquement – se fait entendre à l'arrière de ma voiture. Machinalement, je me retourne. Derrière moi, il n'y a rien, seulement l'obscurité et la faible lueur rouge de mes phares arrière. Je ne sais pas trop à quoi je m'attendais. À découvrir un clown tueur assis sur ma banquette peut-être, ou à découvrir qu'on avait attaché un truc à mon parechoc. Tu es vraiment un barjot mon pauvre Timéo !

Perplexe, je reporte mon attention sur la route. Une boule s'est formée dans mon estomac. Mon doigt en suspens devant le bouton de l'autoradio est plus tremblant que jamais. Et ma musique ne revient toujours pas pour me rassurer. Je suis seul sur cette route, définitivement seul avec mes pensées qui ne tournent pas rond et je déteste ça. Je me monte moi-même la tête, ce qui devient un cercle vicieux.

Infection - Nouvelloween 2018Where stories live. Discover now