Le Moment du Discours

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  Le Moment du Discours  

  Je ne sais pas comment sera la troisième guerre mondiale, mais je sais qu'il n'y aura plus beaucoup de monde pour voir la quatrième. 

Albert Einstein 

  L'ile Union était secouée d'un vacarme assourdissant. C'était presque une centaine de dresseurs qui venaient de prendre l'ile d'assaut, sans oublier leurs nombreux Pokémon et les quelques Chimères qui les accompagnaient. Sortant en trombe du dirigeable qui les avait transportés, ils s'étaient immédiatement précipités vers l'unique et immense demeure de l'ile, le grand manoir qui accueillait non seulement les 5 Premiers, mais aussi les bureaux de plusieurs grandes pointures de l'Armée.
Si plusieurs militaires n'avaient pas tardé à les accueillir sauvagement, ils ne faisaient pas le poids face à tant d'adversaires. Les soldats étaient dépassés et tombèrent rapidement, l'un à la suite de l'autre, tués sans remord par les assaillants. Ainsi, rapidement, les hommes du dirigeable s'introduisirent à l'intérieur de l'immense bâtiment, symbole du pouvoir politique de l'époque.
Seulement, si les opposants avaient l'avantage du nombre, les militaires à l'intérieur avaient celui du territoire, qu'ils connaissaient bien mieux. C'était la première fois pour tous les dresseurs qu'ils posaient le pied sur l'ile, et plus encore dans le Manoir. Aussi les quelques soldats restants s'étaient-ils organisés pour leur donner le plus de fil à retordre que possible, malgré leur nombre infiniment inférieur. Au moins, se battre dans des couloirs étroits présentait l'avantage de limiter le nombre de Pokémon ou de Chimères à affronter en même temps.

Parfois, lorsqu'une attaque trop puissante surgissait, certains murs tremblaient. Dans la pièce de la Table Ronde, barricadée avec des meubles transposés là-bas exprès, Mr Malraux attendait, seul. Il avait dû insister pour que les Premier acceptent sa proposition qui, très vite, s'était révélée être la seule envisageable. Quelques militaires parmi ceux présents s'étaient portés volontaires pour l'assister dans cette mission. Il s'agissait pour la plupart d'hommes qui se sentaient endettés envers l'un ou l'autre Supérieur, ou qui n'avaient plus rien à perdre. Des hommes qui étaient prêts à donner leur vie pour la survie des 5 Premiers et des hauts-gradés présents.

Lui-même se situait dans la même optique. Il était parfaitement conscient des dangers qu'encourrait l'équilibre du Monde en ce moment-même. Il avait assisté de ses propres yeux à l'entretien entre le Professeur Higgs et les Premiers alors en place, il y a 26 ans. Il l'avait vu les menacer de perturber le monde et de l'offrir aux Terroristes de la Team Rocket s'ils n'accédaient pas à ses demandes. Un chantage odieux qu'il n'avait, à l'époque, guère compris. Ce n'est que par la suite qu'il avait saisi les conséquences d'un tel évènement. Et depuis tout ce temps, et surement bien plus encore, le même homme tirait les ficelles dans l'ombre pour atteindre son objectif. Le Majordome n'était pas encore très sûr de concevoir correctement quel était le but précis du Professeur Higgs. Mais une chose était sûre, il était prêt à mettre le monde en danger pour y parvenir, peu importe le nombre de morts.

Ne rien faire revenait alors à lui laisser la place et à abandonner les 5 Etats à leur triste sort. Mais, pour Mr Malraux, il en était hors de question. Toute sa vie, il l'avait consacrée au service des 5 Etats. Certes, son rôle pouvait paraitre bien ingrat, mais il restait nécessaire afin de garantir aux Dirigeants du Monde l'environnement adéquat à leur travail. Il avait toujours été d'une loyauté sans faille envers chacun d'entre eux, du plus brillant au plus mauvais, du plus sympathique au plus agaçant, qu'importe les origines ou les idées.

Cependant, serrant un petit boitier en main, André Malraux ne pouvait s'empêcher d'appréhender les minutes à venir. Il avait beau être fixé sur son destin et savoir que, de toute façon, il n'y avait aucun retour en arrière possible, il avait peur. Peur de mourir. N'est-ce pas le propre de l'homme ? La malédiction de ces êtres de chair et de sang qui, contrairement aux autres créatures, vit tous les jours de sa vie avec la conscience que pend au-dessus de lui une épée de Damoclès, inévitable, la mort, contre laquelle il serait bien vain de lutter ? Est-ce que c'est douloureux de mourir ? Et y a-t-il seulement quelque chose après ? Tant de questions, tant d'incertitudes qui le tiraillaient désormais alors même qu'il se trouvait aux portes de cette destinée.

Enfin, il entendit des bruits de choc retentir dans le couloir proche. Le dernier militaire était en train de combattre avec acharnement les envahisseurs. Mais il ne pourrait pas résister très longtemps. Le vieux majordome sentait la sueur glisser le long de son corps et son cœur battre plus rapidement que jamais, comme pour rentabiliser ses derniers instants. Il poussa un profond soupir, regardant une dernière fois le boitier. Il s'imagina un instant abandonner son idée et prier leurs ennemis pour qu'ils l'épargnent. Mais une autre pensée chassa bien vite cette idée saugrenue de son esprit. Il songea à cette femme qu'il avait tant admirée. La Dame de Fer, Astrid Roosevelt, qui, 10 ans après son départ, laissait encore un souvenir intense au vieillard. Cette femme aux idées brillantes, capable de convaincre n'importe qui, de voir clair dans le jeu de ses adversaires. La femme qu'il avait secrètement admirée pendant toute sa vie pour son parcours hors du commun. Si seulement elle avait été là, aujourd'hui, pour faire face à cette menace inédite. Mais, puisqu'elle n'était plus de ce monde, c'était à lui et aux nouveaux Premiers Ministres de faire perdurer son héritage.

Soudain, la porte barricadée se mit à trembler dans un grand bruit. André Malraux redressa la tête, le regard décidé fixant l'encadrement de celle-ci, baissant les bras pour les cacher sous la Table Ronde. Les meubles qui empêchaient son ouverture vibraient à chaque nouveau coup, menaçant de s'écrouler.

Enfin, un dernier coup résonna, dévoilant derrière plusieurs dresseurs et Pokémon qui s'engouffrèrent à l'intérieur sans attendre. Il s'agissait, pour la plupart, de jeunes hommes et de jeunes femmes. Il y avait aussi, parmi les Pokémon, plusieurs créatures étranges, le dos voûté, qui mêlaient l'apparence des êtres humains avec celle de l'un ou l'autre Pokémon. Puis, au centre, l'air assuré et très confiant, un homme aux cheveux blonds d'une cinquantaine d'année, avec un manteau vert, s'avançait lentement, comme pour que chacun de ses pas fasse un effet dramatique, escorté par son Rhinastoc et son Milobellus. Si cet homme avait d'abord un grand sourire satisfait, en voyant que le Majordome était assis seul à la Table Ronde, il se renfrogna, l'air agacé. Ce n'est que lorsqu'il s'arrêta de marcher qu'André Malraux le reconnut comme étant Koner, l'Aigle Tour de Sinnoh, l'un des rares dresseurs de son âge, mais connu pour son expérience et ses talents.

- C'est quoi cette blague ? s'exclama-t-il, fâché. Où sont les 5 Premiers ?
- En sécurité
, répondit sèchement le Majordome. Vous ne pourrez pas les atteindre.
- Tu te fiches de moi, le vieux ?
répliqua Koner en faisant une grimace. Tu nous fais perdre du temps ! Dis-nous où ils sont ! Ou bien...

Sur ces mots, il claqua des doigts et les dresseurs exécutèrent un geste. Pokémon comme Chimères se mirent alors en position, prêts à se jeter sur le vieux majordome s'il n'accédait pas à la demande de leur chef. Mais pour toute réponse, André Malraux pouffa de rire.

- Tu trouves ça drôle ? lança l'Aigle Tour avec un air narquois. De mourir comme ça, si lamentablement ?
- Je ne meurs pas lamentablement
, répliqua Mr Malraux en montrant le boitier qu'il tenait en main. Mais pour mes convictions.

A la vue du boitier, le visage de l'Aigle Tour pâlit soudainement et il fit un pas en arrière. Il avait maintenant une expression effrayée et paniquée. Il fit un geste pour empêcher ceux qui n'avaient pas compris la situation de se précipiter et déglutit.

- Hé ho ! Calme avec ton truc ! s'exclama Koner avec beaucoup d'appréhension dans la voix. Tu vas quand même pas faire un truc aussi con ? Tu vas pas détruire la Table Ronde comme ça ?
- Et pourquoi pas
, répondit André Malraux sereinement. Ce n'est qu'un meuble, après tout.

L'Aigle Tour écarquilla des yeux puis, d'un signe de main, donna l'ordre aux autres dresseurs dans la pièce de fuir au plus vite. Ils étaient en train de s'exécuter avec précipitation, criant à ceux qui se trouvaient dans les couloirs d'évacuer le Manoir au plus vite. Mais il était trop tard pour eux.

Mr Malraux, quant à lui, alors que les derniers envahisseurs quittaient en trombe la salle de la table Ronde, eut l'impression d'apercevoir les 18 Premiers Ministres qu'il avait servis dans sa carrière, tous rassemblés autour de lui, lui adressant un regard solennel. Les dernières divagations d'un vieillard.

- Mesdames, messieurs, chuchota-t-il dans un dernier sourire. C'était un honneur.

Et sans plus attendre, pour ne laisser aucune chance aux ennemis de l'Etat, il appuya sur le bouton du boitier.
L'immense déflagration que venait de déclencher le vieux Majordome secoua l'entièreté de l'ile. Toutes les charges explosives qu'ils avaient pu trouver avaient été disposées dans les endroits stratégiques du Manoir de l'Ile Union, et même en dehors de celui-ci. Le bâtiment en flamme s'écroula rapidement comme un château de carte, emportant avec lui la vie d'une centaine d'hommes et de femmes venus à l'origine pour cette même destruction, ainsi que les Pokémon et Chimères qui leur prêtaient main forte. Le dirigeable lui-même, en vol stationnaire trop proche du bâtiment, s'enflamma rapidement, à cause de ses grosses quantités d'hydrogène inflammable. Un véritable enfer de flammes et de gravats.

Même à l'abri dans un Bunker secret, les 5 Premiers, les Officiers et derniers militaires cachés crurent un instant que le plafond allait s'écrouler sur eux. Leur abri tint bon, cependant. Il avait été conçu pour résister à n'importe quel assaut imaginable. Une construction ancienne mais efficace. Le Colonel en ignorait l'existence, et même les Premiers semblaient avoir été surpris en y entrant. On y accédait en suivant un long tunnel caché sous une trappe de la réserve, un endroit que les politiciens ne devaient surement pas côtoyer souvent.

Ils n'avaient aucun moyen de savoir ce qu'il se passait en haut. Cependant, ils avaient avec eux le Général Baudouin Nobel, un expert un explosifs. C'était lui et quelques-uns de ses hommes qui avaient installé en catastrophe les dispositifs responsables d'une telle apocalypse. Il savait plus ou moins combien de temps ils devaient encore rester à l'abri avant de sortir sans trop de risque. Mais, selon lui, avec un tel coup d'éclat, l'Ile devait effectivement être débarrassée de la vermine. Il conseillait de rester encore un moment, le temps que le Manoir ait fini de s'écrouler. Il faudrait certainement dégager le passage au niveau et après la trappe, mais ils disposaient de quelques Pokémon entrainés pour les aider et les escorter contre les éventuels survivants. Puis, avec l'aide de la 5ème Brigade Aérienne, ils profiteraient de la nuit pour s'envoler en direction les différents Etats du Monde.

Le Colonel Cornell accompagnerait le Ministre Darwin. Leur destination était Céladopole, où œuvrait d'ores et déjà le Général Hesse pour se préparer à combattre les forces du Professeur Higgs. C'était aussi là-bas que l'équipe du Professeur Caul était censée se rendre. Tous les autres Ministres allaient eux aussi rejoindre une place stratégique et mener la résistance face à cette offensive surprise.

Mais au final, si les 5 Premiers Ministres étaient sains et saufs, le bilan de cette première attaque envers les 5 Etats était très lourd. On compterait plus tard environ 20 000 disparus dans les deux camps sur le Chenal Diplomatique, plus les 100 dresseurs et une vingtaine de militaires sur l'Ile Union. Tout cela annonçait dès lors la peinture avec laquelle serait coloré ce tragique tableau de l'histoire humaine. La Guerre ne faisait que commencer.   

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