Partie 1

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— Est-ce que cette fille est là pour camper ?

— Oui. Elle vient toujours à cette période de l'année. Ne me demande pas pourquoi.

Du comptoir d'un chalet, en plein milieu d'une forêt immense, deux hommes observaient une jeune fille s'éloigner progressivement. Elle s'appelait Ayano.

Cette dernière venait juste de réserver une portion de terre pour y installer son campement en ce mois glacial de Novembre.

Munie de son vélo, elle emprunta un chemin terreux sinusoïdal et bien assez vite se retrouva en face de la mer.

Au loin, le mont Rosuke trônait, fier et majestueux.

Kawaii, murmura la jeune fille, des étoiles pleins les yeux. Oneechan aurait aimé...

Les mots se perdirent dans sa gorge. Penser à sa grande sœur lui était trop douloureux.

Pour éviter de continuer à le faire, elle sortit son équipement. Pendant plusieurs secondes, elle resta là à le contempler en se demandant quel type de tentes elle allait bien pouvoir choisir cette fois.

Une campeuse expérimentée comme Ayano savait que la plupart des tentes sont érigées soit en suspendant le tissu du cadre, soit en passant des bâtons dans les manches attachées. Les différences sont subtiles, mais pour le voyage de camping moyen, elles fonctionnent de manière similaire.

Elle examina donc ses options.

Avec quelques tentes de manches, passer un poteau à travers une extrémité est suffisant pour stabiliser l'autre bout. Cependant, l'autre style de tente a moins de crochets, ce qui la rend plus rapide à installer. En contrepartie, elle coûte excessivement chère.

Ce fut, néanmoins, sur cette dernière que la jeune fille porta son choix. A l'intérieur, elle plaça un tapis de sol, lequel a pour fonction de garder la tente propre mais aussi de faciliter le démontage. En outre, il empêche la dite tente de se déchirer.

Vu son utilité, Ayano se dit que les 550 yens qu'elle avait dépensés pour l'obtenir n'avaient pas été vains.

Une fois le tout bien installé, elle sortit une chaise pliable et s'y assit, le regard rivé vers le panorama qui s'étendait devant ses yeux.

Le soleil se couchait peu à peu et le ciel avait cette teinte orange qui précède souvent la venue de la nuit.

Devant cette scène glorieuse, Ayano ne put s'empêcher de savourer le fait d'être toujours en vie.

En vie... Ses pensées convergèrent de nouveau vers sa sœur.

Quatre ans plus tôt, elles étaient allées camper ensemble non loin de l'endroit où Ayano se trouvait. Au départ, il avait été question d'un voyage en famille, mais leurs parents avaient dû décommander à la dernière minute pour aller à Londres assister à une conférence très importante.

Ne voulant pas renoncer à cette aventure, Ayano avait plaidé auprès de son père pour qu'il la laissât y aller avec sa grande sœur. Ce que cette dernière avait catégoriquement refusé.

—Elle n'a qu'y aller toute seule, cette débile ! avait-elle dit. Je la supporte déjà ici, il n'est pas question que je me la coltine tout un week-end, en plus en pleine forêt !

Ayano était habituée à ce que sa sœur la traite de débile, d'incapable et qu'elle la considère comme une gêne dans son existence. Cela avait toujours été ainsi. Elle avait justement voulu profiter de ce voyage pour améliorer leur relation.

Croyant que la partie était perdue d'avance, elle avait été surprise quand son père avait finalement donné son aval.

—Quoi ? s'était exclamé sa sœur. Mais pourquoi ? Je ne suis pas sa baby-sitter !

—Non, avait répondu leur père. Tu es sa grande sœur. Et tu feras ce qu'on te dit.

Mille contestations plus tard, l'aînée n'avait eu d'autre choix que d'accepter.

Avec le recul, Ayano se dit qu'avoir forcé sa sœur à l'accompagner était sûrement la pire décision qu'elle avait prise de toute sa vie...

Une légère brise souffla, ébouriffant ses cheveux châtains et faisant voltiger ses vêtements en laine et son écharpe.

—Il est temps d'allumer un bon feu, dit-elle en grelottant.

En le disant, elle se leva et se mit à la recherche de ce qu'elle avait en tête: des pommes de pin.

Elle en avait besoin car ces dernières— de préférence ceux qui sont ouvertes — sont d'excellents allume-feu.

—J'en ai trop pris, dit-elle, plus tard, à la vue de ceux qu'elle avait récoltés. Mais bon, ça ne fait rien. Maintenant, le bois...

Pour faire un bon feu, il lui fallait trouver les morceaux de bois les plus secs possible. S'ils étaient trop humides, ils pouvaient ne pas prendre feu ou même éclater.

Elle aurait pu en acheter dans des magasins de bois de chauffage — un paquet coûtant 300 à 500 yens — mais certains campings généreux permettaient de collecter du bois gratuitement, une fois que les frais de camping étaient payés.

Quand elle eut fini, elle rassembla le tout et fit un bon feu. Il faisait toujours aussi froid, mais cette fraîcheur lui paru maintenant d'une infinie douceur.

Prise d'une soudaine envie d'aller au petit coin, elle se leva et se dirigea vers les toilettes publiques situées à proximité du chalet où elle avait payé son séjour.

Elle marcha tout doucement, emmitouflée dans ses vêtements chauds, expirant à chaque pas des bouffées d'air glacial.

Devant la porte qui conduisait aux toilettes, elle découvrit avec stupeur une fille allongée sur un des bancs qui reposaient là. Brune et d'une beauté attendrissante, elle semblait plongée dans un profond sommeil. En la dépassant, Ayano pensa :

Comment peut-elle dormir sous ce froid glacial en portant des habits aussi légers ?

Quand elle ressortit des toilettes, cependant, elle constata que le banc était vide. La fille était partie.

Bizarre. Elle avait pourtant l'air de dormir à poings fermés.

Mais elle ne s'en inquiéta pas outre mesure et s'apprêtait à retourner à son campement quand elle sentit soudain deux mains l'agripper par derrière.

Elle se retourna vivement.

C'était la fille. Les yeux pleins de larmes.

Camping accident Where stories live. Discover now