21. Dragon

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LUNA

Le craquement des branches mortes sous nos pieds résonnait dans le lourd silence. Nous marchions, côte à côte, sans nous regarder, perdus dans nos pensées respectives. L'édifice noirci projetait son ombre sinistre sur le parc, dont la beauté s'était fanée il y a bien longtemps.

Je jetai un regard furtif à Ark, qui semblait m'avoir oubliée. Son visage était sombre. Une moue colérique déformait ses lèvres tandis qu'il fronçait les sourcils, soucieux. Dans ses yeux d'ébène brillait une étrange lueur, une sorte d'étincelle vacillante, éphémère. Il semblait presque... Vulnérable.

Je détournai le regard, consciente de la rareté de l'instant.

Lorsque Ark s'était figé devant le sinistre bâtiment, je n'y avais tout d'abord pas fait attention. Après quelques pas, j'avais entendu une sorte de sanglot rauque, bestial.

 Lentement, je m'étais retournée. 

Le général se tenait là, immobile. Son corps semblait parcouru de frissons incontrôlables, ses longs doigts pâles serrant désespérément l'étoffe sombre de sa tunique.

Je m'étais approchée hâtivement, en quelques enjambées nerveuses. Était-il malade? J'avais déjà vu une apprentie avoir des crises semblables, et il y avait eu un réel danger. En levant les yeux, j'avais découvert avec horreur son visage livide et tendu, plus proche d'un cadavre que d'un être vivant. Ses lèvres s'étaient teintées d'une couleur bleuâtre et un souffle saccadé s'en échappait par à coups, comme s'il avait du mal à respirer. Mais son regard était le plus effrayant.

Vide. Hagard.

Et pourtant, une marée d'émotions le submergeait, noyant les prunelles onyx de larmes. Dans les yeux d'Ark brûlaient la terreur et le remords, avec une intensité presque douloureuse.

Je m'étais soudainement sentie touchée par la souffrance de mon ennemi juré. La pitié m'enflamma l'esprit et je posai mes mains sur son visage glacé.

Aussitôt, Ark fut parcouru d'un long frisson et me regarda. Intensément.

J'avais balbutié une phrase incohérente sur ses émotions en lui rendant son regard. Soudain, tout m'avait semblé plus intense, irréel. Mon visage n'avait plus été qu'à un souffle du sien, et j'avais senti son souffle chaud sur mes joues brûlantes. Le monde semblait s'être assourdi. Seul le rugissement du sang qui pulsait dans mes oreilles résonnait, assourdissant. Je m'étais perdue dans l'obscurité de son regard. J'avais senti que quelque chose allait se produire.

Puis, plus rien.

Ark s'était brusquement écarté de moi, comme s'il avait été brûlé.

Et ce qui me troublait le plus, c'est que cela m'avait agacée.

Je commence sérieusement à perdre la tête.

***

Nous arrivâmes enfin devant l'énorme porte en chêne, qui semblait avoir miraculeusement échappé à l'incendie. Ark saisit sans hésiter le heurtoir et frappa trois coups vigoureux.

Rien.

Le mâle essaya de nouveau, plus brutalement.

Aucune réponse.

- VALHALT! Si tu n'ouvres pas immédiatement, j'envoie les équipes de DÉMOLITION !

Une veine pulsait dangereusement à la tempe du mâle. Je haussai un sourcil.

Ce type avait intérêt à se dépêcher.

Enfin, le lourd battant de bois s'ouvrit en grinçant lugubrement.

Chroniques du CrépusculeWhere stories live. Discover now