33. Le silence

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J'ai appris, à certains moments, à me taire.

Adrian von Zögarn, Notes sur mes voyages


Les loups s'enfuirent comme une nuée de moineaux.

Les golems ne firent pas trois pas avant de s'effondrer. De leurs membres brisés surgissaient des tibias, des crânes, les reliefs de squelettes mêlés à la terre vivante.

Adrian reprit son souffle en quelques inspirations ; il laissa Isowen planté là et monta le rocher. Jilèn et Kira se trouvaient au sommet, la première immobilisée au sol, le deuxième lui confectionnant une attelle de fortune.

Leurs yeux étaient rivés sur un corps colossal allongé face contre terre. Sa peau, en partie fusionnée avec ses vêtements noirs et rouges, avait pris la teinte du cuir et la consistance d'un minéral.

Zor.

« Où est-elle ? demanda Adrian.

— Elle est partie, dit simplement Jilèn.

— Où ça ? Pourquoi ? La bataille est finie. Zor est vaincu. Elle l'a tué, n'est-ce pas ?

— Elle est perdue » ajouta Kira.

Adrian remarqua alors les cadavres des deux loups abattus dans leur élan.

Alchimiste confirmé, scientifique amateur, philosophe putatif, stratège de guerre balbutiant, raconteur d'histoires, bonimenteur, vendeur d'élixirs contre les poux, il changeait chaque jour de costume. Il avait endossé en ce jour celui de combattant, mais la bataille était finie. Un autre Adrian – mais lequel ? – devait réapparaître.

Almena n'avait plus beaucoup de temps.

L'alchimiste coinça la tête poisseuse d'un loup égorgé entre ses jambes et tira de toutes ses forces sur l'un des crocs à venin, l'arrachant de la mâchoire dans un craquement. Un mélange de sang, de bave et de fluides collait maintenant à ses mains.

« De quel côté ? » s'exclama-t-il.

Kira désigna une direction.

Adrian partit en sens inverse : d'abord, passer chercher son matériel au campement, sous les murailles de Zarith.

Il traversa en courant les lignes de l'armée. La plupart des combattants s'étaient arrêtés au même moment que l'ennemi. D'aucuns s'étaient laissés tomber au sol, épuisés, sûrs de la victoire ; d'autres attendaient sur le qui-vive. On comptait les morts et on évacuait les blessés en urgence ; Adrian n'était pas le seul à courir entre les golems et les humains statufiés.

Il réfléchissait à vive allure. Zögarn lui donnait-il encore les réponses ? Non. Il ne l'avait jamais fait. L'immortel se contentait de brèves manifestations ; il ne pouvait pas agir sur les pensées de l'alchimiste. Adrian n'avait jamais cessé de se discréditer, soucieux de ne laisser à son ego que des miettes, pour ne pas étouffer sous sa propre vanité. Pour ne pas commettre l'erreur habituelle des immortels.

L'esprit tendu comme une flèche, le corps emballé dans une course contre le temps, Adrian von Zögarn avait décidé de sauver Almena.

Le monde se réduisait à son strict minimum : un chemin en ligne droite en direction du camp. En simultané, Adrian se débattait avec le flot de ses connaissances. Il revivait chacune de ses expériences, revoyait les pages des livres de Bombastus, traçait dans l'air des diagrammes et des formules. Il passait en revue les ingrédients disponibles à sa portée, du fumier de cheval aux graines de caroube, étudiait leurs propriétés chimiques. Il reconstituait la recette du venin de drom inactivé, la mixture avec laquelle les nomades s'immunisaient contre l'arme naturelle des ruminants.

La Colère du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant