24. La voie des dieux

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Nergal, la lune bleue de Ki, est l'époux d'Ereshkigal, la lune grise. Les deux semblent en froid, puisqu'ils ont des orbites légèrement séparées et des vitesses différentes sur leurs orbites.

Les peuples de Ki disent que Nergal est triste. Amoureux de la déesse des ombres, il a espéré en vain que leur mariage arracherait Ereshkigal à son domaine souterrain ; le contraire s'est produit. Par amour, ou par devoir selon les sources, Nergal est enfermé dans les enfers. Il ne peut plus voir la lumière d'Utu, et ne sort brièvement que la nuit, afin que les autres dieux ne voient pas ce pâle reflet qu'il est devenu.

Adrian von Zögarn, Histoire de l'Omnimonde


Depuis plusieurs minutes, Almena se savait observée, étudiée, jugée.

Lorsqu'elle n'était qu'une enfant, au retour d'une expédition particulièrement chère en vies humaines, les chefs de sa tribu lui avaient annoncé que ses parents étaient morts lors d'une chasse.

Mensonge.

Ils avaient été tués par une tribu du bois, une tribu du Nord, avec laquelle ils s'étaient stupidement battus.

Almena avait cultivé des rêves de vengeance. Ceux-ci avaient grossi, puis pourri sur pied, révélant leur vacuité. Personne ne savait quelle tribu était en cause, quels hommes devaient être punis. Parce qu'il était sans visage, sans corporéité, Almena devait remonter à l'essence même du monstre, à l'origine de la guerre, du conflit, et non à ses effets. Or ce conflit mourait de lui-même. Les tribus du métal, du Sud à l'angle de Nergal, et celles du bois, du Nord, n'avaient pas eu de contact durant des années.

Elle avait cherché son chemin. Valeria lui avait confié le destin promis par les dieux. Kaldar sait... et Kaldar savait qu'Almena devait libérer la terre de Ki d'un fléau attendant d'être nommé.

Il avait été nommé.

Le roi Zor.

Une maladie plus grave encore que la peste bleue avait infecté ce fou. Il avait désiré le pouvoir, et quelqu'un, ou quelque chose, le lui avait donné. Voici que les morts eux-mêmes se relevaient pour devenir les pantins de son armée d'argile. Zor évoluait seul au milieu de ses fantômes et de ses regrets ; mais sa folie transformait cette vision de cauchemar en un empire florissant. Il fantasmait éveillé sur la grandeur de son règne.

Almena chemina jusqu'à une impasse naturelle, une enclave de terre sèche encerclée par des rochers de plusieurs mètres. Elle avait attaché son cheval à une souche d'arbre, au niveau de l'entrée.

Durant toute sa brève existence, elle avait attendu que les signes des dieux soient réunis, que le chemin tracé par Kaldar apparaisse de lui-même, que les actions nécessaires deviennent visibles. Ce moment de vérité était arrivé. À cet instant, d'aucuns l'auraient vue prise au piège, en étau dans cette roche immarcescible ; elle se savait libre.

Elle comprenait maintenant le paradoxe de la sagesse. Au-delà de l'illusion première de liberté, l'homme découvrait la nécessité de suivre la voie du bien parmi toutes les autres. Grâce aux vérités révélées par Valeria, elle se savait sur le bon chemin ; elle savait aussi que ce chemin menait à sa mort ; elle savait, enfin, que quelqu'un l'accueillerait dans l'au-delà...

Placés sous la férule d'Ereshkigal, la reine du monde d'en bas, les morts souterrains enduraient ses supplices avant la rédemption ; leurs âmes cheminaient dans des tunnels durant des millénaires, jusqu'à ce que leurs os redeviennent poussière. Elles jaillissaient purifiées dans le monde réel, comme l'eau d'une source claire.

La Colère du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant