Chapitre 1.

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Lille, France, Juin 2018. 

La noirceur. C'est tout ce qui m'entoure depuis une semaine, comme si mon esprit et mon corps étaient complètement détachés l'un de l'autre. Mes gestes sont automatiques, serrer les dents face à la douleur, fermer les yeux face au vide qui prend de plus en plus sa place, sourire forcé devant les journalistes qui attendent nos réactions à l'extérieur de notre domaine, comme si notre vie privée avait une plus grande valeur face à celles des autres personnes, comme si notre malheur valait le coup d'être étalé dans les journaux. Et mon esprit, peut-on encore dire que j'ai un esprit ? Je suis incapable de réfléchir à l'après. Ni à l'instant présent de toutes façons. Je ne comprends pas comment cela a pu arriver, pourquoi c'est arrivé, et je n'assimile pas du tout la nouvelle depuis l'annonce, je refuse d'y croire, ça ne peut pas être vrai. Impossible. Pourtant, aujourd'hui, c'est la fin, je me tiens devant ce trou fait dans la terre du cimetière, vêtue de ma robe noire haute couture, mes yeux larmoyants cachés derrière mes grosses lunettes de soleil Chloé, le cercueil de chêne blanc laqué descend doucement, tellement doucement, dans cet immense trou, si bien qu'un instant je me mets à espérer que ce soit une blague, qu'il va sortir d'un coup de cette boîte en bois et crier "Poisson d'Avril !" en plein mois de juin. Mais lorsque vient mon tour de lâcher ma rose bleue dans ce trou à l'intérieur duquel il reposera pour toujours, je prends conscience qu'il est parti, qu'il ne reviendra jamais. Et j'entends mon coeur se briser définitivement, j'entends la fissure se creuser un chemin de plus en plus profond, j'entends les reniflements discrets de mon père, j'entends les sanglots de ma mère, les gens qui avaient dû le voir une fois par an à la fête de noël annuelle de ma famille se mouchent dans leur mouchoirs de soie comme s'ils comprenaient, comme si l'on venait de leur arracher le coeur alors qu'ils ne connaissaient même pas son âge, j'entends les flash des journalistes, incapables de respecter notre vie privée et notre deuil. Et il y a moi, debout, stoïque, aussi froide qu'une statue de glace, alors qu'intérieurement je hurle, je hurle de douleur, de rage, contre moi-même pour n'avoir pas été assez présente, contre mes parents pour ne pas s'être inquiétés, contre ces gens, que je ne connais pas, qui sont là, à pleurer sa perte alors qu'ils ne savent rien. C'est lorsque j'entends le prêtre finir sa prière, que je reprends contenance, récitant du bout des lèvres les dernières paroles que j'ai personnellement choisi. 

"- Seigneur, nous tournons vers toi notre regard à l'heure où disparaît ce visage qui nous est cher. Accorde-lui de te voir face à face et affermis notre espérance de le revoir auprès de toi pour les siècles des siècles. Amen." 

Mon attitude calme m'étonne moi-même lorsque mon frère ainé, Jules, passe son bras autour de mes épaules, et embrasse mon crâne tentant vainement de me sortir de ma semie-léthargie. Nos parents ainsi que grands-parents maternels et paternels finissent par nous rejoindre, et c'est côte à côte que nous serrons les mains et acceptons les étreintes des personnes venues nous souhaiter leur condoléances, répondant par automatisme "merci d'être venu", alors que j'aurais préféré qu'ils ne soient pas là. 

Une fois que tous les invités furent partis pour rejoindre notre domaine où aurait lieu un repas en sa mémoire, je me détachais de mon frère pour aller me poster devant ce qui allait devenir sa tombe, mes yeux détaillant la pierre tombale ainsi que son épitaphe gravée dessus. 

Paul Christian Louis De Vanghtair

10.03.04-02.06.18

" J'accepte la grande aventure d'être moi."

J'esquissais un léger sourire lorsque je lus cette phrase, il la disait à tout bout de champs, dès que mon frère et moi nous plaignions de son attitude de gamin, à chacune de ses blagues, il nous la rappelait, cette phrase était le moteur de sa vie, et elle est aussi une des raisons de sa mort. Je caressais doucement la pierre froide censée lui rendre hommage, avant de me relever puis de rejoindre le reste de ma famille, glissant ma main dans celle de mon frère, nous remontions le cimetière pour passer les immenses grilles de fer forgé noir, et dans un grincement sinistre, les flashs reprirent nous forçant à nous précipiter dans nos voitures. Quittant ce lieu qui allait l'abriter à tout jamais pour rejoindre les invités chez nous. 

Le route fût silencieuse, mon père conduisait, ma mère essayait de masquer ses yeux rougis par les pleurs, mon frère écoutait sa musique avec ses écouteurs, et moi je regardais pensivement le paysage défilé. Une fois garés dans le garage du domaine, au beau milieu d'une dizaine de voitures de luxe, mon père coupa le moteur et se tourna vers nous, un regard sévère, avant de nous ordonner d'une voix dure :

"- Il y a du monde, nous ne sommes pas seuls dans cette maison, donc nous comptons sur vous pour ne pas agir comme de enfants immatures. Pas d'esclandres, pas d'alcool, pas de cris, de pleurs, pas de franchise mal placée. Me suis-je bien fait comprendre jeunes gens ?"

Alors que mon frère et moi hochions la tête en baissant les yeux devant son regard dur, je ne pu m'empêcher de penser qu'aujourd'hui nous venions d'enterrer un membre de notre famille, un fils, un frère, un petit-fils, et que lui, mon père, pensait, même dans ces circonstances tragiques, à son image, un sourire désabusé prit place sur mes lèvres lorsque je me rendis compte que, finalement, les apparences passeraient toujours avant tout dans cette famille, même avant la mort. Mon père eu un sourire de satisfaction, avant d'enlever sa ceinture, ma mère, éternelle soumise, le suivit sans rien dire, sans même nous adresser un regard, alors qu'ils sortaient de la voiture, mon frère et moi nous regardions, puis secouant nos têtes désespérément, nous sortîmes de la voiture à notre tour avant de rejoindre le reste de notre famille dans le grand salon où se trouvaient déjà les invités, une coupe de champagne à la main pour les femmes, un verre de scotch pour les hommes. Je me dirigeais rapidement vers le bar accompagné de mon frère, attrapant tous les deux un verre de champagne, avant de nous diriger discrètement sur le terrasse pour être au calme et discuter tranquillement. 

"- C'est bizarre, je n'arrive pas réaliser qu'il n'est vraiment plus là, avec nous, me dit mon frère tout doucement, c'est comme si je ne faisais pas parti de cette réalité. 

- Je sais, je ressens la même chose, enchainais-je, ce que je supporte encore moins ce sont ces gens qui ne le voyaient que une fois par an et qui le considéraient comme un petit enfant de 3 ans qui ne savaient pas tenir une conversation, ils m'exaspèrent. 

- T'as vu la vieille Madame Saint-Lô ? Et la tête de maman quand elle a remarqué la tenue de cette femme ? Rit-il, c'était tellement épique ! Maman était tellement outrée de voir autant de couleur sur une seule personne, et encore plus à un enterrement !"

Je l'accompagnais dans son éclat de rire en me remémorant la scène, Madame Saint-Lô est une veille veuve délurée de 86 ans, cette femme est complètement à côté de la plaque à chaque évènements, aujourd'hui elle est arrivé à l'enterrement dans une robe bariolée de toutes les couleurs, je suis persuadée qu'elle vient de chez Desigual, ma mère était tellement outrée de voir une personne se présenter à l'enterrement en couleur qu'elle a tourné au rouge instantanément, je me demande encore comme elle a fait pour maîtriser cette fureur démoniaque qui avait l'air de vouloir exploser. 

Cette anecdote suffit pour nous détendre, alors nous passâmes la soirée dehors, alternant pour aller nous ravitailler en boissons et nourriture, nous nous remémorions des souvenirs avec Paul, les meilleurs, les plus beaux, les pires, tous y passèrent, et quand la soirée se finit, mon frère et moi savions, au plus profond de nous-même, qu'il resterait vivant à travers nous, à travers nos souvenirs, à travers notre futur. Alors lorsque le soir, je me couchais dans mon grand lit, les larmes se mirent à couler le long de mes joues pendant que je fixais le plafond, je craquais enfin, mon cerveau assimilait qu'il ne reviendrait pas, que c'était fini. Epuisée je finis par m'endormir en ayant une dernière pensée pour lui. 

Repose en paix petit frère.  

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⏰ Last updated: Jul 12, 2018 ⏰

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