D'Autres que Nous

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Je n'entends que cette sonnerie venimeuse depuis plus de dix minutes ; le temps de m'enrouler une serviette sur la tête, de glisser sans aucune dignité à la sortie de la douche, totalement nue et vulnérable, cette connerie a cessé de geindre son bip d'alarme agaçant. Tout me fait mal à la tête : l'eau bien trop chaude, la présentation de mon projet qui a lieu le surlendemain, le café que je m'empresse d'avaler d'une traite, manquant sérieusement de m'étouffer. Comme si cette journée ne portait déjà pas assez le sceau de la loose. Je m'approche du téléphone en boitillant. Douze appels manqués. Douze.J'évalue mentalement toutes les choses horribles qui auraient pu arriver à chacun des membres de ma famille en l'espace de quelques secondes. Puis la sonnerie retentit à nouveau et vrille mes tympans déjà sérieusement amochés par le concert de la veille. Une photo de Lucie et moi s'affiche sur l'écran. Je ne peux plus reculer. Lucie tient absolument à m'accompagner à cette présentation et elle ne me lâchera pas.

« - Oui Lucie ?  Je ne t'ai pas oublié figure-toi. C'est même plutôt impossible.

-      Oui, oui je sais ».  Elle semble frénétique. Bon Dieu qu'est ce qu'elle a encore ?

-      Qu'est ce que tu as ?

-      Je me disais qu'on aurait pu en profiter pour passer chez tu-sais-qui quand on sera sur la route demain.

Je l'entends souffler bruyamment dans le téléphone tout en mâchonnant quelque chose. L'image d'un ruminant m'apparaît calqué sur le visage de mon amie.

-      Non. On aura à faire et même si tu discutes avec lui depuis 10 jours et que tu te l'imagines déjà comme le père de tes enfants, c'est hors de question.

-      Arrête d'abuser. Il est cool, c'est tout.

-      Oui et bien tu « cooliseras » avec lui un autre jour, on a plusieurs heures de route avec une inconnue je te rappelle et elle ne s'arrêtera pas pour que tu puisses voir un mec. Et j'aimerais veux me reposer à l'hôtel avant la présentation du lendemain.

-      Je pensais qu'elle aurait pu nous déposer et que de là, on se serait débrouillé avec quelqu'un d'autre sur Blablacar ?

-      Lucie, non. On a prévu comme ça, je fais une présentation le lendemain et l'année prochaine c'est ton tour tu te souviens ? On peut en rester là ? Franchement, on verra pour le trajet du retour mais demain non.

En raccrochant, je suis toujours persuadée que cette idée de Blablacar va nous retarder. Un plan que j'estime foireux en somme. « Le train c'est trop cher et dépassé, on a qu'à utiliser Blablacar ! ». Je maudis le jour ou j'ai dis « Oui » à cette idée.

            Ca doit bien faire une dizaine de jours que je ne dors pas, ou presque plus. Cette foutue présentation me met la pression et les allers et retours à l'hôpital pour voir ma sœur ne me font aucun bien.

L'escalade. Quelle idée de pratiquer ce sport. Un baudrier mal attaché, un partenaire qui tourne la tête quelques secondes et ne vous assure pas et paf.

Le coma. C'était aussi facile que ça. Aussi facile que de tomber bêtement et se cogner la tête.

Je lui avais pourtant dit. Je l'avais prévenue.

Mais allez dire à un sportif, un casse-cou ou un pro aventurier que sa passion est dangereuse ; c'est comme si vous parliez à un fumeur, un alcoolique, un drogué. Il le sait très bien, au fond. Nous ne sommes pas fait pour durer. Et qu'est ce qui n'est pas dangereux après tout ? C'est étonnant comme cette phrase ridicule me met en rage : « tu sais tu peux très bien traverser la rue et te faire renverser par un bus ». Bien sûr que je le sais. A croire que les gens adorent vous rappeler que nous sommes des particules de rien du tout guidées par un libre arbitre capricieux.

D'autres que nous (Terminé) (Wattys2018)Where stories live. Discover now